Communication fédérale CNT TEFP, février 2021
Suivie de la communication intersyndicale CGT-SNTEFP, CNT-TEFP, SUD-TAS, février 2021
« L’évaluation individualisée, provoque, et c’est d’ailleurs un des objectifs affichés de la méthode, la concurrence généralisée entre les travailleurs«
Christophe Dejours, Souffrance en France
Cette année les entretiens professionnels doivent avoir lieu avant le 31 mars 2021. La CNT maintient son opposition à un système d’évaluation dont le principe est toujours le même : mettre en concurrence les agents par la carotte (attribution d’un Complément Indemnitaire Annuel, réductions hypothétiques d’ancienneté ou avancement au choix) et le bâton (suppression du CIA et absence de promotion).
Cette année ces entretiens vont se dérouler dans le contexte du chaos créé par la mise en place de l’OTE et des SGC. Notre administration qui a été pour le moins défaillante pendant la crise sanitaire et qui n’a pas su/voulu empêcher l’OTE veut néanmoins à tout prix nous « évaluer » avant fin mars et le passage officiel aux DDETS. Jamais la mascarade de l’entretien individuel d’évaluation n’aura été aussi visible dans une période où le ministère du travail s’effondre.
Non les entretiens d’évaluation ne sont toujours pas de sympathiques échanges de pratiques professionnelles autour du travail réel. Ils participent à un dispositif bureaucratique et idéologique qui :
- isole l’agent face à la dégradation des conditions de travail. Ce faisant ce dernier se retrouve à porter seul la responsabilité de sa charge de travail et du manque de moyens pour faire face à sa mission.
- a pour fonction de vérifier l’adhésion et la soumission de l’agent aux objectifs et orientations fixés par notre hiérarchie.
C’est à cette occasion que sont fixés pour l’année les objectifs de chaque agent, y compris chiffrés, qui augmenteront automatiquement le stress et la pression sur chacun. Rappelons que ces objectifs chiffrés avaient pourtant été suspendus en 2012 suite aux suicides de nos collègues Luc Béal-Rainaldy et Romain Lecoustre. Cyniques ou indifférents, la DGT et le ministère ne tirent aucune leçon du passé.
Fondamentalement, l’entretien d’évaluation reste un pseudo-contrat d’objectifs individuels sur la base de l’atteinte des objectifs de l’année précédente. Que ces objectifs soient quantitatifs ou non, il s’agit toujours du même management par objectifs et de la même « culture du résultat ».
Il faut donc rappeler que « l’évaluation individuelle des performances » (de son vrai nom issu du management privé) est un système essentiellement discriminatoire qui vise à mettre les agents en concurrence. La carotte qu’on nous agite sous le nez –– est elle-même fixée à l’avance et ne va pas augmenter, quand bien même on se tuerait tous au travail pour atteindre ces objectifs : l’enveloppe globale pour les primes ou les compléments indemnitaires est prédéfinie et le quota d’agents susceptibles de bénéficier de réductions d’ancienneté est également fixé à l’avance.
La course à l’objectif est donc un leurre individuel, nuisible à l’ensemble du collectif de travail. Sur fond d’idéologie méritocratique, elle vise à faire croire qu’il est légitime de progresser individuellement au détriment de ses collègues en se racontant que si on obtient plus que le collègue ou le voisin ça doit sûrement être parce qu’on est meilleur que lui ou plus méritant.
Or, la notion de mérite est profondément arbitraire : s’agit-il en fait de « performance » ? Mais « performance » par rapport à quoi ? Il faudrait alors pondérer le mérite supposé par l’effort, les capacités de l’agent plus ou moins valorisées, la qualité de son environnement de travail, l’implication de ses collègues (qui dépend d’une dynamique plus large), son parcours professionnel (lui-même lié à l’origine sociale) etc. toutes choses difficiles sinon impossibles à évaluer.
Au final le supposé « mérite » renvoie toujours en dernier recours au simple niveau d’amour ou de détestation que nous porte le ou les supérieurs hiérarchiques. L’évaluation reste un pouvoir institutionnalisé donné au supérieur hiérarchique de discriminer entre ses agents subordonnés ; et un outil de pression sur eux.
Ainsi, fondamentalement l’évaluation/récompense individuelle ne sert aucunement à mesurer et encourager les résultats ou la progression sur la base d’une analyse de pratiques professionnelles, mais à créer de la hiérarchie.
Et ce pouvoir-là de gestion managériale, notre hiérarchie locale n’est sûrement pas prête de le lâcher en appliquant, par exemple, des critères égalitaires (même complément indemnitaire pour tout le monde) ou sociaux (complément indemnitaire dégressif en fonction de la catégorie).
Ainsi il nous est ironiquement rappelé dans l’instruction du 09 décembre 2020 et les différentes notes régionales qui l’accompagnent que cet entretien est tout à la fois un « droit pour les agents » mais aussi, et surtout, une « obligation ». Tellement attaché à son joujou managérial, le ministère ne manque pas de rappeler que l’agent récalcitrant se placerait sur le terrain du « manquement à l’obligation d’obéissance ».
Tout ceci est une mascarade organisée par l’administration qui profite de ce système pour :
- s’assurer des chiffres à publiciser
- individualiser les résultats attendus en nous rendant responsables de nos conditions de travail et en nous détournant de la lutte collective pour l’avancée des droits pour tous !
En conséquence, nous réaffirmons notre position de boycott de ces entretiens.
Communication fédérale CNT TEFP, février 2021
5 bonnes raisons de se retirer de son entretien professionnel en 2021 – communication intersyndicale
En 2021, alors que la pandémie de covid-19 continue de mettre à mal le fonctionnement de nos services et a considérablement dégradé nos conditions de travail, alors que le rouleur compresseur de l’OTE continue d’avancer et que le chaos créé par les SGC commence à produire ses effets, notre administration veut à tout prix nous « évaluer » avant fin mars et le passage officiel à l’OTE.
Jamais la mascarade de l’entretien individuel d’évaluation n’aura été aussi visible dans une période où le ministère du travail s’effondre. Nos directions se sont précipitées à quelques mois de la fin d’année 2020 pour nous fixer des objectifs, pour le plaisir de pouvoir nous évaluer en 2021, comme s’il ne s’était rien passé en 2020 et qu’en 2021 les agent.es avaient retrouvé des conditions de travail respectueuses de leur santé physique et mentale.
Non ! les entretiens d’évaluation ne sont toujours pas des sympathiques échanges de pratiques professionnelles autour du travail réel, mais un dispositif bureaucratique et idéologique isolant l’agent face à la dégradation de nos conditions de travail et ayant pour fonction de vérifier l’adhésion et la soumission de l’agent aux objectifs et orientations fixées par notre hiérarchie.
Plus que jamais, nos organisations syndicales continuent de refuser l’individualisation, l’isolement et la concurrence entre agents et appellent les agents à se retirer des entretiens professionnels, au moyen de la lettre type jointe ou par toute autre modalité débattue en assemblée générale.
Nous réitérons l’ensemble des arguments de longue date portés par nos syndicats sur les dangers que présente l’entretien annuel d’évaluation pour les agent.es et les collectifs de travail.
1/ L’entretien professionnel nuit aux collectifs de travail et à la santé
Il est démontré que la fixation d’objectifs et l’évaluation individuelle des performances nuisent à la santé. Cette procédure arbitraire et injuste est source de discriminations, renforce les angoisses, désorganise les solidarités et détruit la confiance au travail. De manière honteuse, la DGT a remis en place des objectifs chiffrés individuels qui augmenteront le stress et la pression sur les collègues. Ces objectifs chiffrés individuels avaient pourtant été suspendus en 2012 suite aux suicides de nos collègues Luc Béal-Rainaldy et Romain Lecoustre.
2/ Les ratios de promotion sont très faibles
Plus personne n’est dupe : évaluation ou pas, les promotions dans le grade ou le corps supérieurs sont toujours données au compte-goutte et quand il y en a, l’opacité est toujours de mise dans le choix des agents à promouvoir, laissé au bon vouloir des directions. Et avec la suppression de l’information et de la consultation préalable des CAP en matière de promotion, ce sera encore plus le règne de l’opacité et de l’arbitraire !
3/ Les suppressions de postes et les réorganisations continuent… et s’aggravent
Le rouleau compresseur des suppressions de postes continue inexorablement avec -2.6% d’agents tous les ans jusqu’en 2022 ! A l’inspection du travail par exemple, ce sont ainsi plus de 168 postes d’agent de contrôle qui sont laissés vacants et sans perspective d’être pourvus rapidement. Cyniquement, les directions en appellent à la solidarité ou à l’entraide, alors que les besoins sont criants pour accueillir le public et traiter les dossiers. Pour les agent.es à temps partiels, surtout des femmes, c’est la double peine puisque la charge de travail n’était déjà pas adaptée. Avec l’entretien professionnel, on est évalué sur le travail fourni alors que le ministère ne nous donne pas les moyens de rendre un service de qualité, et on est rendu.e responsable de cette situation !
4/ Nos salaires n’augmentent pas
Avec le RIFSEEP, la part variable de la rémunération est plus que jamais utilisée comme carotte ou bâton. Le montant du CIA est décidé de manière discrétionnaire avec des quotas d’agent.es « bon.nes » ou « moins bon.nes ». Quelle que soit l’évaluation individuelle, les montants versés ont été différents d’une région à l’autre, d’une catégorie à l’autre. Nombre d’agent·es attendent toujours la revalorisation de leur prime à l’occasion d’un changement de groupe ou d’une suppression de postes ! Dans le contexte du gel du point d’indice c’est une véritable provocation.
5/ Aucune reconnaissance statutaire
Les adjoint·es sont méprisé·es par l’administration et n’ont aucune perspective de promotion de grade ou de corps, la complexification des tâches n’est accompagnée d’aucune revalorisation statutaire. Pour les contrôleur.euses du travail, le CRIT a prouvé ses effets délétères et anxiogènes du fait du nombre restreint de lauréat·es et des décisions iniques des derniers jurys de ne pas pourvoir tous les postes.
6/ Des recours non traités par l’administration
De plus en plus d’agent·es forment des recours à l’encontre de leur compte-rendu d’entretien professionnel. L’administration doit consulter la CAP avant de rendre sa décision. Or, le traitement de ces recours est un véritable scandale, l’administration refusant de trancher les litiges, renvoyant dos-à-dos l’agent et son supérieur hiérarchique…
Retirons-nous des entretiens professionnels !
Depuis sa mise en place, nos organisations syndicales n’ont pas manqué d’alerter le ministère sur la souffrance que génère ce dispositif parmi les collègues. Nous refusons l’approche comptable et la perte du sens de nos missions. Nous revendiquons notamment :
- l’abandon de tous les objectifs chiffrés et de la politique d’évaluation par objectifs ;
- l’arrêt des suppressions d’emploi et de missions, des mutualisations, des disparitions de sites, des externalisations, des réorganisations visant à gérer la pénurie et le recrutement d’agents statutaires permettant de compenser les suppressions consécutives de ces dernières années ;
- l’arrêt de la dévalorisation et de la mise en concurrence des agents comme mode de relation hiérarchique.
Entretien avec Christophe Dejours,titulaire de la chaire de psychanalyse santé-travail du CNAM, pour le magazine Entreprise & Carrières (extraits)
E & C : Quelles sont les principales causes de l’augmentation de la souffrance au travail?
Dejours : L’apparition de nouvelles formes d’organisation du travail est la principale explication et, tout particulièrement,l’introduction de l’évaluation individualisée des performances. Ensuite, viennent des causes secondaires : les contraintes de la qualité totale, la précarisation du monde du travail…
E & C : Pourquoi êtes-vous si critique envers les systèmes d’évaluation ?
Dejours : L’évaluation individuelle a été rendue possible par l’informatique, qui a pris place dans nos vies à une vitesse impressionnante. Les ordinateurs sont comme des boîtes noires, ils enregistrent tout, ce que vous faites ou ne faites pas, vos erreurs… Cette évaluation individuelle met les salariés en concurrence les uns avec les autres, et elle a été poussée très loin. Elle entraîne des pressions très fortes, surtout sur les salariés en position instable. Les entreprises utilisent également beaucoup la menace de passage à la sous-traitance pour exiger des performances de plus en plus élevées.
A partir du moment où on a introduit des primes, les salariés ont adopté des conduites déloyales, fait de la rétention d’informations ou même nui à leurs collègues. Le tissu de confiance et d’entraide a été déchiré au profit du chacun pour soi. Les solidarités ont fondu. Les syndicats sont très déstabilisés par ce lien social affaibli, beaucoup plus que par la chute du Mur de Berlin. Mais, si les salariés acceptent ces pratiques lâches ou de se faire maltraiter, il ne faut pas s’étonner de la multiplication des dépressions et des pathologies de la solitude.
Certes, les salariés ont réclamé ces évaluations individuelles. Ils pensaient qu’elles seraient plus justes que l’avancement à l’ancienneté ou à l’appartenance syndicale, mais ils se sont fait piéger. Ces évaluations sont fausses et arbitraires, car il n’est pas possible d’évaluer quantitativement et objectivement le travail. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si certaines entreprises reviennent sur ce système.
Entreprise & Carrières, semaine du 27/11 au 03/12/2007
Guide DGT « LES RISQUES D’ATTEINTE A LA SANTÉ MENTALE » – Repères pour l’action de l’Inspection du travail » (septembre 2009)
Introduction page 3 : « La question de la santé mentale au travail résulte des évolutions du travail depuis plusieurs décennies : précarisation de l’emploi et des statuts, intensification des rythmes de travail, individualisation de l’organisation du travail, de la gestion des carrières et des rémunérations, évolution des modes de management, marges de manœuvre individuelles réduites… Ces bouleversements font peser sur les collectifs de travail et plus encore sur les individus des contraintes croissantes, qui ont contribué à l’émergence des « risques psychosociaux ».
guide DGT
Communication intersyndicale CGT SNTEFP, CNT TEFP, SUD TAS, février 2021