La mission IGAS a publié son rapport sur les sections d’inspection en cette année 2011, il n’est pas inutile de revenir ici sur ses conclusions.
L’ « originalité » revendiquée de ce rapport reposait d’abord sur l’évaluation de la qualité des actes des agents de contrôle (lettres d’obs, arrêts de travaux, PV, etc.). C’est l’occasion pour les IGAS d’affirmer que les agents des sections ne sont pas si mauvais car la qualité des actes juridiques est jugée satisfaisante (page 35 et suiv.). Mais les IGAS estiment toutefois que les agents ne se soucient pas assez de la « mise en conformité » des entreprises et des « moyens pour y parvenir » (page 47 et suiv.). On croit rêver ! Nous voilà responsables de la délinquance patronale, du manque de moyens pour y faire face et de la faiblesse de la réponse pénale des tribunaux !
A ce sujet les IGAS demandent néanmoins l’institutionnalisation d’une coordination entre services d’inspection et parquets et la conduite d’une « réflexion » sur les sanctions les mieux à même de contraindre « les employeurs à se mettre en conformité ». (page 57 et 58).
Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement, ce sont les « recommandations » des IGAS concernant le « pilotage de l’activité » qui constituent autant d’orientations pour les politiques et les réorganisations à venir.
Pas de surprises à ce niveau là mais plutôt une confirmation des orientations souhaitées par la DGT à travers notamment la nouvelle ligne hiérarchique. Tout va bien, les IGAS sont d’accord avec la DGT pour désigner le dernier verrou à abattre : la section d’inspection.
En témoigne des échanges surréalistes et un débat de titans sur près de 3 pages (page 7 à 9 et 14) entre la DGT et les IGAS sur le mode :
- Il faut affirmer la ligne hiérarchique !
- Je ne suis pas tout à fait d’accord je pense qu’il faut affirmer la ligne hiérarchique !
- Oui mais vous parlez des sections, il faut parler de la hiérarchie.
- Excusez moi mais c’est justement parce qu’on pense qu’il faut affirmer la ligne hiérarchique dans la section qu’on se penche sur les sections.
- Ah OK d’accord ! On avait pas compris ! Mais quand même vous auriez pu parler un peu plus de nous et de la hiérarchie intermédiaire au niveau des DIRECCTE et des UT.
- Pas besoin parce que le blocage vient des sections et pas de la hiérarchie intermédiaire.
- Tu l’as dit bouffi !
(Il va de soi qu’il s’agit ici d’un résumé des échanges entre DGT et IGAS librement retraduit en français, la novlangue managériale en vigueur dans notre ministère étant très pénible à lire. Mais il s’agit bien d’un résumé fidèle du niveau de l’échange).
Qui arbitre l’action ?
Les IGAS recommandent de placer le lieu de l’ « arbitrage » au sein des sections. De quoi s’agit-il ? Ne sommes-nous pas déjà en permanence en train d’arbitrer au quotidien en fonction de l’urgence et des moyens que nous avons ?
En fait, derrière la notion d’arbitrage ce qu’il faut comprendre, c’est la remise en cause de la liberté de décision de l’agent de contrôle dans cet arbitrage. « Sous l’autorité de l’inspecteur du travail » (promu adjudant chef à la faveur de la nouvelle ligne hiérarchique), la « section doit devenir le lieu privilégié d’arbitrage collectif entre la réponse aux sollicitations des usagers et l’activité programmée sur une priorité nationale ».
Et les IGAS de regretter que « la décision de mettre en œuvre des moyens de contrôle est largement le fait, individuel, des agents » et que « la réponse aux sollicitations reste perçue par la plupart des agents comme le déterminant le plus légitime de l’activité de contrôle » (page 4 et 20). Effectivement, en poussant la réflexion les IGAS auraient également pu nous expliquer ce qu’est un service public dont la priorité n’est pas de répondre aux demandes du public. Mais le rapport ne fournit pas de réponse à cette question manifestement accessoire.
Ainsi, jusqu’à maintenant nous n’avions pas structurellement les moyens d’effectuer correctement notre mission de service public mais nous avions une liberté relative dans les décisions et la gestion des actions à mener dans la cadre de cette mission. C’est encore trop selon les IGAS, et c’est cette liberté relative qui doit être remise en cause via un arbitrage effectué sur la base de critères pré-définis dans lesquels on n’oubliera évidemment pas les « priorités nationales » (recommandation n°4, page 27).
Programmation à tous les étages
Pour justifier sa rhétorique autour de l’arbitrage le rapport IGAS comme la DGT établissent une équation entre demande = individuel et plan d’action = collectif. Cette réduction volontaire permet de glisser de la nécessaire intervention sur des problèmes collectifs à une programmation de l’activité au sein de la section.
Ainsi, dans le cadre de la remise en cause de la liberté de décision de l’agent, les inspecteurs sont invités à définir une programmation de l’activité à partir de plans d’actions annuels. Il faut, selon les IGAS, affirmer « la dimension managériale du poste d’inspecteur du travail, chef de section » (page 5 et 6 et recommandation n°12 page 33).
Ce plan devra lui-même être validé par la direction de l’UT. Pour les non-comprenants, les IGAS vont même jusqu’à préciser que ce plan devra aussi intégrer les priorités nationales. Tout ceci n’est évidemment pas gratuit puisque la réalisation des objectifs quantitatifs et qualitatifs du plan d’action de section fera parti de l’entretien d’évaluation (recommandations n°5, 6, 10 et 11, page 29 et 33).
A défaut d’effectifs, il faut réorganiser
Le rapport relève avec beaucoup de précautions un problème au niveau des effectifs. On s’attendrait donc à ce qu’il recommande un recrutement massif d’agents dans un souci « d’effectivité du droit ». Que nenni ! « L’évolution prévisible des effectifs appelle une réorganisation importante des secrétariats et des services de renseignement du public » (page 6). Le rapport ne sera pas plus précis sur ces deux points, prudence oblige. Il serait en effet malvenu d’affirmer noir sur blanc : à défauts d’effectifs, on recommande de supprimer les secrétariats en section et l’accueil du public pour les services renseignements.
Au final ce rapport donne une curieuse impression du déjà vu, de déjà entendu et de déjà lu tant il correspond aux discours de notre hiérarchie et aux différentes circulaires sur la ligne hiérarchique. A la faveur de leur « expertise » les IGAS redécouvrent opportunément les priorités et les objectifs de la hiérarchie de notre ministère.
La seule originalité étant de désigner clairement leur cible : en finir avec les sections d’inspection telles qu’elles existent aujourd’hui. Le mot d’ordre est réorganisation et taylorisation de l’activité à tous les étages avec évaluation par objectifs à la clé. Pour arriver à cette fin les îlots de résistance que peuvent constituer les sections d’inspection doivent être réorganisées de l’intérieur.
A nous de refuser le scénario qui se dessine et de réaffirmer nos priorités de service public par la lutte collective
Le tract en pdf : Rapport IGAS sur l’inspection du travail : à quelle sauce va-t-on être mangés ?