Gravière en exploitation

Amiante dans les carrières alluvionnaires : les préfets passent par-dessus les agent⸳es de contrôle avec l’aval de la DGT

Depuis la mise en place de l’OTE, les interférences des préfets dans les prérogatives des agent⸳es de contrôle se multiplient. On ne compte plus les ordres et contre-ordres donnés par des préfets locaux relayés complaisamment par notre propre hiérarchie.

Pourtant, lors de la mise de l’OTE, le décret du 9 décembre 2020 était censé nous préserver de ces atteintes directes à l’indépendance des inspecteur⸳trices en excluant explicitement les agentes de contrôle de la ligne hiérarchique des préfets dans son article 12. Oui mais voilà, le juridique ne vaut pas grand-chose face aux effets de structure et au zèle de nos directions.

Une nouvelle étape vient d’être franchie. Là où les atteintes à l’indépendance étaient ponctuelles et cantonnées au niveau local, le sujet de l’amiante dans les carrières alluvionnaires a cette fois mis à jour une interférence des préfets sur le sujet, organisée au niveau national avec l’aval de la Direction générale du travail (DGT).

De quoi s’agit-il ?

En 2012, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a procédé à un inventaire de la présence d’amiante environnementale dans les carrières. Cette démarche qui a été menée en plusieurs étapes a abouti au ciblage de 23 sites (Corse, PACA, ARA, Occitanie et Nouvelle Aquitaine) et à la réalisation d’échantillonnage sur ces sites en 2018 et 2019. Les sites ont ensuite été classés en trois catégories : 6 sites avec présence d’amiante avérée, 10 sites avec présence d’amiante très probable après avis d’expert et 7 sites où le protocole utilisé n’a pas permis à ce stade d’identifier des fibres d’amiante.

Six ans plus tard la DGPR (prévention des risques), la DGT, la DGS (santé) et la DGCCRF ont sorti une instruction commune à destination des préfets concernant les carrières alluvionnaires dans lesquelles un risque d’amiante pouvait exister. Cette instruction du 22 juillet 2024 prévoit notamment que les préfets envoient aux exploitants de carrière un courrier leur détaillant leurs obligations de prévention en qualité d’employeur. Le courrier ne se limite pas à rappeler les mesures de prévention, il vient aussi définir le cadre réglementaire applicable.

Le courrier précise par exemple que seule la qualification d’intervention SS4 serait possible car les opérations SS3 concerneraient le traitement de l’amiante au sens de l’élimination finale par retrait ou encapsulage. Dans la mesure où l’extraction des granulats susceptibles d’être amiantés ne visent pas leur élimination mais leur exploitation, la règlementation SS3 n’est pas applicable.

Les agent⸳es de contrôle, dernière roue du carrosse

Vous ne rêvez pas : la DGT a bien demandé aux préfets de départements d’informer les exploitants des carrières alluvionnaires « pré-expertisées » et de « veiller à ce que soient mises en œuvre les mesures de prévention au titre de la protection des travailleurs » en passant par-dessus les agent⸳es de contrôle du secteur.

Cette instruction DGT est complétée par :

  • une note complémentaire de la DGT du 24 juillet 2024 sur la réglementation applicable et l’action attendue des services déconcentrés. Cette note invite notamment à privilégier l’envoi de courrier et à éviter les contrôles sur place, sauf nécessité tel que les accidents du travail ;
  • une note complémentaire de la DRH du 2 août 2024 sur la prévention des expositions et qui invite à limiter les expositions.

Les agent⸳es de contrôle sont donc informé.es a posteriori de l’existence du problème, non pour les accompagner dans leurs interventions sur le sujet de l’amiante dans les carrières alluvionnaires et dans le cadre de leurs missions de contrôle, mais pour contrôler leur exposition s’il leur arrivait de se rendre dans ces carrières.

Il est à noter que l’organisation patronale de l’UNICEM (Union nationale des industries de carrière et matériaux de construction) a, elle, été informée et reçue par les 4 directions générales le 30 juillet 2024. La DGT a donc fait le choix d’informer les employeurs avant ses propres agent⸳es.

Une telle atteinte à l’indépendance est inédite. Nous ne pouvons la laisser passer sans réagir. Les préfets n’ont pas à intervenir sur les secteurs et prérogatives des agent⸳es de contrôle.

En région Auvergne-Rhône-Alpes, les préfets ont dans un premier temps refusé de transmettre les courriers préparés aux exploitants dans l’attente « d’une demande politique explicite » de la part des cabinets des quatre directions générales. La raison de ce refus est « un manque de préparation face aux importantes conséquences prévisibles, tant économiques pour les carrières et le BTP, que sanitaires et sociales s’agissant de l’exposition des consommateurs et des populations à des produits mis sur le marché (par exemple : granulats) ou des carrières ; manque de préparation y compris en termes de communication. »

« réunion miroir » et « échanges dynamiques » avec le patronat 

« Validation politique » et « retombées économiques », les maîtres mots sont lâchés. Or, c’est précisément pour éviter ce type de logique que l’inspection du travail doit rester indépendante. Mais l’ingérence ne s’arrête pas là.

La préfecture, en coordination avec le pôle T et les autres directions de Pôle ont à nouveau rencontré l’UNICEM pour échanger sur les mesures de prévention à mettre en œuvre.

Finalement les agent⸳es de contrôle sont informé⸳es a posteriori de l’ensemble de ces démarches par le biais de mail et d’un webinaire qui assument totalement la posture d’ingérence sur le dossier :

  • les copies des courriers préfectoraux sont transmises aux agent⸳es ;
  • lors du webinaire une représentante de la DREAL en charge des carrières qui assume sa proximité avec l’UNICEM « ce qui facilite les échanges », informe les agent⸳es que les échanges entre l’UNICEM et la préfecture sur l’évaluation des risques sont dynamiques, qu’un nouveau point sera effectué fin janvier et qu’éventuellement, il sera possible de mettre en place « une réunion miroir » avec les agent⸳es pour les tenir informé⸳es. Elle ne manque pas de rappeler que les 6 sites concernés par la présence d’amiante sont représentatifs des bassins alluvionnaires de la région et que les retombées économiques impacteraient la moitié de la production régionale ;
  • les agent⸳es sont cantonné.es à l’envoi de courrier-type avec la recommandation de ne pas effectuer de contrôle sur site.

A l’heure actuelle, il est très difficile d’évaluer le risque réel, la DGT attend la mise en place d’un nouveau protocole d’évaluation par le BGRM, le calendrier de mise en place a été décidé en préfecture.

En revanche, l’indépendance des agent⸳es de contrôle est d’ores et déjà totalement foulée aux pieds.Cet épisode vient une fois de plus illustrer l’inanité de la fameuse indépendance en mode « système », c’est-à-dire censément garantie par notre hiérarchie.