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Suites pénales des procédures de l’Inspection du Travail : cachez ce fiasco que je ne saurais voir…

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Lors des dernières assises du ministère du Travail, organisées à l’initiative des organisations syndicales CGT, CNT, FSU et SUD, qui ont eu lieu 20, 21 et 22 juin 2022, un atelier était spécifiquement consacré au thème : « Les freins à la justice sociale : politique pénale, bilan des sanctions administratives ». Le constat dressé par les différents acteur.ices de ce débat, agent.es, magistrat.es et avocat.es, sur l’état de la justice du travail est sans appel : les taux de poursuite sont très insuffisants et nous sommes trop souvent confronté.es à une justice de classe.

Ce constat partagé a notamment fait ressurgir avec force une revendication : faire un état des lieux précis et objectif de la situation pour mieux la dénoncer, mettre notre hiérarchie face à ses responsabilités et informer l’ensemble des travailleur.euses.

Deux actions ont été menées au niveau local et national : au niveau national, l’intersyndicale a interpelé la Direction Générale du Travail (DGT) pour que soit mis en place un observatoire des suites pénales permettant un état des lieux objectif, sérieux, durable et complet. Interpellation restée sans réponse jusqu’à présent…

Au niveau local, nous avons décidé syndicalement de faire notre propre état des lieux dans trois départements (le Rhône, en Seine-Saint-Denis ou dans le Gard) et de communiquer sur le sujet.

Les résultats convergent pour dresser un tableau catastrophique des suites pénales : entre 2/3 et ¾ de nos procédures ne donnent lieu à aucune sanction. Le reste se partageant entre alternatives aux poursuites et condamnations suite à un procès pénal. Si l’on regarde plus précisément ce dernier point, on constate que le remplacement progressif des procès pénaux par des alternatives aux poursuites, notamment par le biais des transactions pénales, constitue une tendance lourde ces dernières années. Ainsi, la tendance générale à la dépénalisation du Code du travail se retrouve même dans la typologie de suites mises en œuvre.

On pourrait penser que les résultats sont plus encourageants sur les sujets les plus graves, comme les accidents du travail. Que nenni ! Les 2/3 des procédures suite à accident du travail ne donnent lieu à aucune sanction.

On mesure ici combien la récente campagne du gouvernement sur les accidents du travail n’est qu’une campagne de communication, pour ne pas dire une mascarade, dès lors que les effectifs des agent.es de contrôle continuent de diminuer et que la question des suites pénales n’est jamais évoquée. 

Ces résultats sont partiels néanmoins et ne concernent que quelques départements. Pour autant, si l’on remonte plus loin dans le temps, à une époque où la DGT avait lancé un Observatoire des suites pénales, cet observatoire, durant sa courte durée de vie, mettait en évidence les résultats suivants : les suites des 29 000 PV dressés de 2004 à 2009, toutes infractions confondues, étaient inconnues dans 60% des cas.

Il faut donc sortir du déni et arrêter de culpabiliser les agent.es de terrain pour tenter de justifier cette situation. Les mêmes résultats catastrophiques, le même fiasco judiciaire, se reproduisent d’une zone géographique à l’autre, au niveau local aussi bien qu’au niveau national, et perdure avec une constance remarquable au fil des années.

Le problème est bien global, systémique, et ne dépend ni la qualité rédactionnelle des procédures par les agent.es (qualité d’ailleurs régulièrement saluée dans les rapports de la Cour des comptes ou des IGAS chaque fois qu’ils se sont penchés sur le sujet), ni des arguties pseudo-juridiques inventées sur les délais de prescription, et/ou l’absence de diligence suffisante dans la rédaction des procédures pour justifier le classement des PV bien avant la fin du délai de prescription de six ans pour les délits.

Suite à plusieurs articles parus récemment dans Rue89 et Mediapart sur cette situation, la DDETS du Rhône s’est engagée à remettre en place un observatoire des suites pénales et à communiquer sur ses résultats. Il nous faut désormais obtenir la même chose partout et au niveau national.

Il est inadmissible que le voile soit tiré sur le faible taux de poursuites pénales contre les employeurs. Car il ne peut y avoir d’effectivité du droit du travail sans la puissance du levier pénal et cela nécessite une réelle politique pénale du travail, sujet sur lequel le Ministère du travail est en total échec. L’ensemble des travailleur.euses doit pouvoir être informé de l’état de la justice pénale du travail.

Parce que l’impunité patronale doit cesser et parce que les travailleur.euses ont le droit de connaître la réalité de la justice pénale du travail, nous exigeons que soit remis sur pied :

  • un observatoire des suites pénales permettant un état des lieux objectif, sérieux, durable et exhaustif : procès-verbaux recensés par typologie d’infractions, signalements au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, avis au Parquet ;
  • un bilan régulier élaboré et diffusé à l’ensemble des agent.es et, au-delà, à l’ensemble des travailleur.euses et à leurs organisations syndicales (unions départementales).

Par ailleurs, afin de rendre la politique pénale réellement dissuasive et parce que les patron.nes ne doivent pas être au-dessus des lois, nos organisations revendiquent :

  • Une politique pénale du travail intransigeante, donnant instruction aux Parquets de poursuivre systématiquement les infractions les plus graves ou celles qui auraient pu avoir des conséquences graves et condamnant fermement la délinquance patronale ;
  • Des quantums de peine plus dissuasifs pour en finir avec la délinquance en col blanc ;
  • Un renforcement des moyens des tribunaux pour éviter le classement vertical, les risques de prescription et limiter le recours aux peines alternatives aux poursuites ;
  • La transmission systématique du bulletin de suite avec un numéro d’enregistrement Parquet nos services, notamment afin de pouvoir informer les victimes ;
  • Une information périodique des agent.es sur les suites réservées aux procédures pénales ;
  • Une rencontre périodique dans chaque département entre les agent.es de contrôle et les représentant.es du parquet ;
  • Officialiser la possibilité d’échanges directs entre un agent.e de contrôle et un.e représentant.e du parquet sur tout dossier,
  • Une audience réservée à nos procédures au moins une fois par mois, pour que nos dossiers ne finissent pas toujours en bas de la pile des affaires à juger.
  • La création d’une section Droit pénal du travail au sein des Parquets. A tout le moins, la nomination d’un.e référent.e Droit pénal du travail dans chaque Parquet permettrait déjà aux magistrat.es et à nos services d’avoir plus facilement une vue synthétique des suites accordées à nos procédures.