L’actuelle volonté gouvernementale de mise en place d’un contrôle unique du secteur agricole par les différentes administrations doit nous inquiéter. Celle-ci recouvre une évolution sous-jacente plus large. Nous faisons face aujourd’hui à une volonté de l’État de s’attaquer aux corps de contrôle et aux services publics en charge de la santé et la sécurité des travailleurs/travailleuses, ainsi que de la population en général.
Le mouvement agricole entre réelle détresse sociale et poujadisme
Le récent épisode de mobilisation du « monde agricole » a une fois de plus mis en évidence les ambiguïtés, pour ne pas dire les contradictions, propres à ce secteur tant dans ses revendications et que dans ses retombées. Quel point commun en effet entre les grands patrons céréaliers ou viticoles et des petites exploitations familiales qui peinent à survivre, ou encore des salariés surexploités (qui représentent
aujourd’hui un tiers de la profession) ? De fait les inégalités de revenus entre agriculteurs sont grandes et
elles tendent à s’accroître : De 2010 à 2022 les revenus annuels des 10% les plus pauvres stagnent autour de -400 euros annuels, quand les revenus des 10% les plus riches n’ont jamais été aussi hauts et atteignent 129 600 euros annuels (source INRAE-UMR Smart).
Certains syndicats agricoles ont tiré profit de ce mouvement en développant un discours anti-taxe,
anti-norme et anti-contrôle censés être responsables de la misère de certains agriculteurs. Ainsi, si la détresse des agriculteurs peut être réelle, ce mouvement a également permis de libérer un discours
poujadiste prenant pour cible les différentes administrations, notamment par le biais des représentants des plus gros capitalistes du secteur. Ce discours-là a bien évidemment été reçu et complaisamment relayé par le gouvernement actuel et ce, jusqu’au président de la République, trop heureux de pouvoir détourner des revendications sociales en désignant les services publics et les agents de contrôle comme boucs émissaires en dénonçant une supposée « paperasse » et des contrôles censément trop nombreux.
Ce discours de délégitimation des organismes de contrôle sous pression patronale a rapidement abouti à
l’annonce par le premier ministre d’un « contrôle administratif unique » par an dans les exploitations
agricoles et sous l’égide du préfet.
Les premiers visés par une telle annonce ont été les agents de l’Office français de la biodiversité, chargés de faire respecter les normes environnementales, jetés en pâture par les pouvoirs publics et sommés du jour au lendemain de ne plus rien faire en attendant une révision des modalités d’intervention des agents. De fait, dans nombre de départements, et alors que le mouvement des agriculteurs est terminé depuis plusieurs mois, les contrôles de l’OFB, décidés par le préfet, sont toujours suspendus.
La question se posait évidemment pour les services de l’inspection du travail, étions-nous soumis au fameux contrôle unique sous tutelle du préfet ? L’intersyndicale du ministère a interrogé notre ministère dont le silence était jusqu’alors assourdissant.
Quid de l’inspection du travail ?
La réponse de la DGT a fini par arriver début février et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est loin
d’être rassurante.
Si l’inspection n’est pas formellement soumise au contrôle unique sous tutelle du préfet, Monsieur
RAMAIN fait sienne « la rationalisation des contrôles organisés dans les exploitations agricoles. L’objectif de cette mesure est de simplifier la vie des exploitants agricoles notamment des contrôles engagés ». Et notre DGT d’ajouter : « Rien ne s’oppose à ce que le système d’inspection du travail s’inscrive dans le cadre d’un processus d’échange et de programmation des contrôles. Echanger des informations sur les contrôles envisagés, notamment les campagnes collectives, avec les autres services de l’Etat, mais également les organisations professionnelles concernées est, au contraire, un levier pertinent pour renforcer l’efficacité de notre action dès lors que ces échanges n’ont ni pour objet, ni pour effet de limiter la capacité d’action de l’inspection du travail qui doit pouvoir intervenir si nécessaire, y compris sans programmation préalable ».
En un mot : ça ne s’applique pas forcément à vous mais faisons-le quand même !
Le secteur des transports nouvelle cible ?
Le débat est donc loin d’être terminé et l’on aurait tort, de se croire définitivement épargnés.
Et, de fait, sans clairons ni trompettes, nous avons commencé à voir apparaître par la bande ces dernières
semaines des tentatives d’instaurer les pratiques de « rationalisation et de programmation des contrôles »
promus par la DGT dans l’autre secteur partiellement spécialisé de l’inspection du travail : les transports.
Les agents des secteurs des transports ont toujours eu des relations avec l’autre administration en charge de ce secteur : la DREAL. Des contrôles communs peuvent ainsi avoir lieu sur route et/ou en fonction des
domaines de compétences spécifiques de chacun et de la pertinence des interventions. Nous n’avons rien à redire à cela. Mais dernièrement, le pôle T d’une importante Région a franchi un cap jusqu’alors inconnu en donnant à plusieurs reprises pour instruction aux agents de contrôle en charge des transports de transmettre à la DREAL une programmation de nos contrôles à venir préalablement à toute intervention. Cette organisation visant à éviter « les doubles contrôles dans des délais rapprochés ».
Devant le tollé suscité en interne, le pôle T a amorcé une reculade en euphémisant sa demande initiale. On aurait pourtant tort de banaliser une telle demande, tout à fait inédite en ses termes, et qui correspond mot pour mot aux préconisations de RAMAIN suscitées.
Il nous paraît donc fondamental de rester collectivement vigilants sur ce sujet, et de dénoncer toute tentative d’instaurer, à bas bruits et dans les faits, un ersatz de contrôle unique. Car toute tentative expérimentale visant à aller dans ce sens aura vocation à être étendue à l’avenir si nous n’y prenons pas garde.
Vers une privatisation des organismes de contrôle ?
Il nous faut également nous inquiéter d’une nouvelle étape qui pourrait être franchie : la privatisation des
organismes de contrôle par la délégation à des organismes privés. Ce scénario, qui peut paraître improbable à court terme concernant nos services, ne relève pourtant pas de la science-fiction.
En effet, la récente mise en place d’une police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments, confiée au ministère de l’Agriculture, est maintenant déléguée dans les faits à des organismes privés au travers de conventions cadres quinquennales. Ainsi, alors que le manque d’effectifs à la DGAL et à la DGCCRF et leurs conséquences sur le nombre de contrôles étaient régulièrement dénoncées par les syndicats du secteur, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de privatiser les missions de contrôle. Et ce au nom de « l’efficacité et de l’efficience de l’action de l’Etat » comme il se doit en novlangue managériale. En ce début d’année 2024 la réalisation des missions de contrôle a notamment été déléguée au BUREAU VERITAS EXPLOITATION dans la région ARA. Le passage d’une logique de contrôle effectuée par un agent, fonctionnaire d’État, formé et indépendant, à une logique d’audit privé a de quoi inquiéter n’importe qui se soucie réellement de la sécurité alimentaire des aliments.
Si un tel scénario ne semble pas, à l’heure actuelle, à l’ordre du jour concernant l’inspection du travail, on
aurait tort de se croire irrémédiablement protégés par les conventions 81 ou 129. Il nous faut ici aussi rester vigilants et dénoncer toute tentative d’attaque dans ce sens.
Travail, environnement, sécurité alimentaire… contre tous les projets de dérégulation et de destruction de nos conditions de vie, défendons les moyens et l’indépendance des corps de contrôle.