Les effectifs réels de l’inspection du travail en section sont au plus bas. En mars 2023, 446 sections sur 2018 au total étaient vacantes.
Cet effondrement vient de loin. C’est un choix politique et idéologique global. Quels que soient les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années, ils ont tous considéré les services publics comme une dépense insupportable qui fallait réduire. Ce choix politique vise particulièrement les ministères dits sociaux qu’il s’agit de saigner au détriment notamment de l’intérieur et de l’armée.
Dans les faits, et pour la plus grande part, cette réduction d’effectif a été réalisée par le non remplacement des départs en retraite. Chaque année, le Ministère fait mine de découvrir ces remplacements non anticipés alors qu’il dispose pourtant de services statistiques chevronnés comme la DARES…
D’où vient la crise de recrutement ?
Un cercle vicieux s’est dès lors mis en place au fil des années : les gouvernements successifs ne recrutent plus, ou moins ; depuis des années, les conditions de travail des agents se dégradent et le service public s’effondre. Conséquemment le nombre de candidats au recrutements baisse, et ainsi de suite. Aujourd’hui, le ministère a beau jeu de déplorer la situation actuelle, pourtant celle-ci n’est que le résultat d’une politique dont il est le représentant, saccageant consciemment les services publics, et le nôtre en particulier. Ajoutons à cela la stagnation des rémunérations, les effets catastrophiques d’une justice de classe sur les suites pénales réservées à nos procédures, encore largement dénoncées lors des dernières assises, le découragement, un sentiment profond d’abandon, et la perte de sens qui gagne les services.
Ainsi, si les dernières promotions recrutées via la voie classique (IET) ou le détachement de fonctionnaires (ITD) sont un peu plus importantes ces dernières années, elles ne permettent pas, de fait, de compenser les départs. En effet, au-delà du nombre de places offertes par ces recrutements, force est de constater que le concours d’IT est désaffecté, et toutes les places offertes au concours ne sont pas attribuées.
Quels sont les moyens de remonter la pente ?
Le ministère a choisi d’augmenter les places offertes par la voie du détachement, mais cela reste insuffisant pour enrayer la chute des effectifs et cela ne va pas sans créer d’autres problèmes : mise en concurrence des IET et des ITD sur les postes, formation plus courte des ITD, etc.
Il est donc nécessaire d’avoir une vraie stratégie pour (re)donner envie de venir travailler à l’inspection du travail sans cacher les problèmes.
S’il nous faut évidemment maintenir et développer un syndicalisme de lutte et interprofessionnel pour dénoncer et essayer d’enrayer cette situation, nous voulons dans ce tract nous centrer sur l’organisation des services, le personnel, les effectifs et les parcours professionnels.
Avant d’aborder les agents de contrôles de l’inspection, il faut d’abord s’attacher aux effectifs des secrétariats de section et assistant.es de contrôle.
Pas d’inspection du travail efficace sans secrétariat
En section, le nombre de d’agents administratifs par rapport aux agents de contrôle (IT et CT) a dramatiquement chuté. Entre 2007 et 2020, le ratio secrétaire/agent de contrôle est passé de 1 pour 2 à 1 pour 3 (rapports annuels au BIT).
Pourtant, les collègues des secrétariats effectuent des tâches essentielles au fonctionnement de l’inspection du travail et leur apport déterminant est trop souvent invisible ou invisibilité par l’administration. Dans les faits, nous avons tous connaissance d’agents de contrôle réalisant ponctuellement, voire fréquemment, des tâches de secrétariat, et de secrétaires devant arbitrer quotidiennement entre des tâches essentielles ; par exemple, choisir entre répondre au téléphone et procéder aux relectures et envois des courriers.
Il y a quelques années, le ministère du travail avait, dans la foulée de la mise en place des Unités de contrôle (UC), fait tout un battage sur la montée en compétence des collègues pour arriver à une logique de postes d’assistance de contrôle.
Le ministère écrivait dans son rapport au BIT de 2015 : « Pour les secrétaires de section, appelés à devenir des assistants de contrôle au sein des unités de contrôle, la réforme vise à faire évoluer leur métier vers une véritable assistance au contrôle et sera accompagnée en termes d’affectation, de charges de travail, de référentiel, de formation et d’évolution de carrières. »
Ce projet, sous contrainte budgétaire, s’est avéré être un gadget, voire une farce. Des tâches nouvelles, dont l’intérêt est fortement discutable, sont tout simplement venues s’ajouter à la charge de travail des secrétariats alors même que les effectifs s’amenuisent et que les tâches basiques de secrétariat peinent de plus en plus à être assurées.
On ne pourra remonter la pente que si les conditions de fonctionnement des secrétariats de section d’inspection s’améliorent. Pour cela il est indispensable d’y augmenter drastiquement les effectifs.
Cela doit permettre d’enrichir les tâches pour tendre vers une vraie assistance au contrôle. L’enjeu est d’éviter qu’à peine arrivés beaucoup de nouveaux/elles collègues aient envie de repartir.
446 sections vacantes – 200 RUCs
Notre organisation syndicale a été dès le départ favorable au corps unique, mais opposée à la création des postes de RUC.
Ces postes sont un échec, et ce malgré celles et ceux qui ont cru pouvoir en faire quelque chose d’utile pour l’inspection et les collègues – peut-être par excès de naïveté. Il ne s’agit pas ici de pointer les personnes, certain-es, par endroit, ont su incarner une véritable fonction de soutien aux agents sans forcément jouer au petit-chef, en étant eux-mêmes sous pression.
Néanmoins, structurellement et par essence, ce poste est néfaste pour l’inspection du travail ; il créé une fonction de garde-chiourme, de « pilotage », et/ou de relais des mauvaises nouvelles.
L’enquête de l’IGAS sur les RUC publiée en juin 2022 a montré que 37 % d’entre eux souhaitent changer de poste et de fonction dans les 6 mois et 72 % dans les deux ans.
Les fonctions d’appui associées au poste et surtout affichées lors de la mise en place des UC, ont bien souvent été vite absorbées par beaucoup d’autres tâches.
Par ailleurs, un appui professionnel nécessite une relation de confiance. Or, la réponse d’un RUC présente toujours une ambiguïté fondamentale : est-ce une réponse basée sur les instructions de la hiérarchie ou est-ce une réponse sincère qui ne prend en compte que le travail bien fait et le sens du service public ?
Tirons-en les conséquences, supprimons ces postes et profitons-en pour renflouer les sections de contrôle !
L’inspection du travail étouffe sans appui
L’inspection du travail au quotidien ne peut fonctionner correctement sans appui.
Bien entendu, des services d’appui au niveau régional sont utiles, tout particulièrement les cellules pluridisciplinaires et les ingénieur.e.s de prévention.
Néanmoins, l’appui c’est avant tout un besoin quotidien qui se construit efficacement quand il est au plus proche des sections.
Historiquement ont existé et subsistent encore çà et là, des postes d’ARM (appui ressources méthode). Ces fonctions sont essentielles car elles permettent d’avoir des collègues – dégagées des contraintes d’une section – qui peuvent construire des outils (fiches, guides, observations type, modèles, etc.), apporter un appui par un.e pairs avec la confiance que cela revêt lors d’un contrôle, pour une question technique ou juridique épineuse. L’aide apportée présente le grand avantage d’être réellement opérationnelle car adaptée aux contraintes du travail réel.
Par ailleurs, un travail d’appui conséquent génère une production de documents de toutes sortes qu’il est nécessaire d’organiser, notamment pour ne pas réinventer l’eau chaude dans chaque département ou sur chaque site. Aussi, il est indispensable d’avoir une gestion documentaire réfléchie.
Où sont les documentalistes ?
Mais gérer une base documentaire c’est un métier : documentaliste. En 2009, il y avait 66,2 ETP dans les services de documentation. Combien en reste-t-il dans notre ministère ? Combien vont partir à la retraite dans les prochaines années ? Les rapports annuels du Ministère au BIT ne les comptent même plus.
Ce manque de service documentaire composé de collègues compétent.es et formé.es est scandaleux dans un domaine où nous manions pléthore de ressources documentaires (techniques, juridiques, outils, guides, fiches, etc.).
L’intranet Sitere est malheureusement un exemple patent de ce fiasco, nous vous renvoyons à ce propos au tract déjà écrit par la CNT à ce sujet (Intranet Sitere : que de frustrations !).
Au-delà, au cœur des UC, au plus proche des sections, il y a besoin crucial de création ou de maintien de fonctions de soutien et d’appui, permettant également des échanges professionnels.
L’appui aux sections c’est aussi un système de remplacement en cas de poste vacant ou d’arrêt de travail qui n’est pas de courte durée. Il faut en finir avec les intérims permanents.
C’est quelque chose qui a existé dans les services, même cela n’était pas généralisé, les organisations étaient variables en fonction des endroits : parfois le remplacement était assuré par un ou plusieurs agents dédiés, parfois c’était les ARMs qui assuraient également cette tâche.
Un tel système aurait bien entendu vocation à remplacer les collègues en maladie, congé maternité, par exemple, et non à occuper les postes structurellement non pourvus.
En finir avec la seule fonction de RUC comme horizon d’évolution professionnelle
Créer ou recréer ce type de postes, au-delà de leur fonction première d’appui et de souffle donné au service, c’est également un moyen de créer des évolutions et perspectives professionnelles, au plus proche des sections d’inspection.
Il n’est pas question de créer des postes d’inspecteurs ou d’inspectrices ++ qui délivreraient une bonne parole. Bien au contraire, il s’agirait de pairs, du même corps, sans fonction hiérarchique, disposant du temps nécessaire pour assurer leur fonction de support.
Cet aspect est essentiel, car cela doit permettre des aller-retours entre les postes en section d’inspection et les postes supports. L’absence de lien hiérarchique doit également permettre de lever toute ambiguïté quant à des intentions cachées réelles ou supposées, comme c’est actuellement le cas avec les RUCs.
De fait, actuellement, l’horizon professionnel pour les agents de contrôle est bouché : à part RUC, quelles sont les évolutions possibles pour les IT en section ?
Il y a de la part de nombreux collègues à la fois un attachement très fort à la section et au travail en section, et en même temps un besoin de pouvoir occuper d’autres postes que celui d’IT attaché à une section.
Mais cette envie n’est pas satisfaite par le poste de RUC, qui pour beaucoup de collègues, est un poste de peu d’intérêt, si ce n’est un repoussoir.
Il est donc nécessaire de créer des postes variés au plus proche des sections qui pourraient intéresser les collègues IT et permettre des aller-retours entre ces postes et les sections.
Il y a probablement d’autres postes d’appui et de diversification des parcours professionnels que nous pouvons imaginer sans remettre en cause l’inspection du travail généraliste et territoriale.
Les parcours professionnels n’incluent pas forcément de grimper dans une hiérarchie, nombre d’entre nous aspirent avant tout à vivre dignement de notre travail en étant utile, sans volonté de parvenir.
En synthèse, pour remonter la pente, il nous faut des effectifs, des effectifs et encore des effectifs.
- Le premier effort doit se porter massivement sur les secrétariats
- La suppression des postes de RUC doit permettre de combler près de 200 sections vacantes
- La poursuite des recrutements en section doit permettre de :
- combler les sections vacantes
- créer de nouvelles sections
- créer des postes de support et d’appui aux plus proches des sections
- Les évolutions doivent permettre d’attirer des candidats au concours