En 2011 et 2012, les suicides de nos deux collègues Romain Lecoustre et Luc Béal-Rainaldy avaient mis en lumière la procédure liée aux accidents de service et la difficulté de faire reconnaître le lien entre le travail et ces accidents.
Une particularité du public
Pour la fonction publique contrairement au privé, il n’y pas d’« accident du travail », mais des « accidents de service ». Au delà de la sémantique, les procédures associées sont bien différentes.
Pour un accident du travail déclaré par une personne travaillant dans le privé, l’employeur est obligé de transmettre la déclaration à la CPAM même s’il la conteste. C’est ensuite à la CPAM de déterminer si l’accident est d’origine professionnelle.
Un employeur juge et partie
Pour la fonction publique, c’est l’employeur du déclarant qui décide s’il accepte de reconnaître ou non le lien avec le service de l’accident.
De fait, cela change la façon dont sont traitées les déclarations. S’il y a eu accident de service, pour la hiérarchie, c’est qu’il y a eu un dysfonctionnement et elle ne peut pas en être la cause.
L’administration a ainsi tendance, comme n’importe quel employeur, à rechercher la cause de l’accident chez les victimes elles-mêmes : elles ont fait une faute, pas respecté une consigne, ou lorsque l’affection est psychologique, la victime est fragile, elle n’a pas bien compris, elle a des problèmes personnels, etc.
Cela est bien évidemment délétère pour les déclarants que l’on transforme de victimes en fautifs.
Une absence de politique de prévention
Cette façon de faire, même si c’est son objectif, masque mal la faiblesse ou l’absence de politique de prévention des risques qui caractérise notre ministère.
A titre d’illustration, nous reproduisons plus bas le DUER du niveau régional de la Direccte Grand Est. Sa lecture vous sera très rapide, il tient en une page… Rares sont les entreprises du privé qui osent une telle ode à la vacuité.
Pourtant, notre ministère dispose très probablement de la plus forte proportion d’agents formés à la prévention des risques et aux obligations de l’employeur ; certains d’entre eux forment leurs propres collègues.
Aussi, la cause de la nullité de la prévention des risques au sein du ministère se situe au niveau de la hiérarchie.
La faiblesse ou l’absence de politique de prévention des risques est indissociable du traitement des accidents de service ; car reconnaître un accident c’est également reconnaître l’absence d’identification de la cause de l’accident et/ou l’absence de mesures de prévention.
Aussi, quand l’administration traite une déclaration d’accident de service, grande est sa tentation d’enterrer le problème plutôt que de le résoudre surtout si cela met en lumière ses propres insuffisances.
Des services du personnel atomisés
Ajoutons que l’évolution des services et toutes les réorganisations successives n’ont pas amélioré les choses, bien au contraire.
Le service du personnel et ses agents étaient autrefois bien identifiés, connus par les agents. Ce n’est plus le cas, la fusion des DDTEFP avec les DRTEFP, puis la mise en place des Direcctes, ensuite les fusions de ces dernières dans des ensembles encore plus grands ont produit un éloignement entre les agents et les collègues des services du personnel.
Ces évolutions ont généré une bureaucratisation et une dépersonnalisation de ces tâches qui est délétère.
D’un esprit de « service support » aux collègues, que l’on suit et appuie dans les différents évènements qui les touchent, on est passé à une logique de contrôle des agents. Ces derniers doivent tout justifier comme si leur ambition dans la vie était d’arnaquer l’administration, alors que nous ambitionnons avant tout de concourir au service rendu aux usagers.
L’OTE a et va encore accentuer cette évolution.
Sortir du cercle vicieux
Au delà de ce constat affligeant, il nous semble important d’en retirer une revendication permettant de sortir du cercle vicieux ci-contre.
Il ne faut plus que le responsable potentiel de l’accident soit celui qui décide si l’accident est imputable au service.
Tant que l’administration sera juge et partie, elle mettra les problèmes sous le tapis.
Nous exigeons, à l’image du privé, que les agents puissent bénéficier d’une présomption d’imputabilité pour les accidents de service et qu’en cas de réserve de l’administration, la décision soit à la main d’un organisme indépendant, CPAM ou autre.
Extrait du DUER du niveau régional de la Direccte Grand Est au 10 mars 2021