Motion adoptée au congrès 2019 de la Fédération CNT TEFP
Argumentaire :
Depuis 2014 et la réforme Sapin, le service public d’inspection du travail est engagé dans une réforme profonde qui tend à changer le sens de notre travail. Lorsque on analyse la situation sur la durée, on constate plusieurs dynamiques sont à l’oeuvre et entrent en raisonnance les unes avec les autres pour redéfinir lentement, sûrement, l’idée même de service public.
Les tendances à l’oeuvre sont les suivantes :
- inflation d’échelons hiérarchiques au-dessus de l’agent de contrôle, de « managers » dont la fonction est centrée non autour de la production d’un service en direction d’un usager mais de contrôler et orienter l’action de l’agent de contrôle et assistantes. En un mot des bullshits jobs au sens donné par David Graeber.
- Une dépénalisation progressive du droit du travail. Par dépénalisation nous n’entendons pas simplement le taux très important de classement sans suites et/ou les disparitions de procédures. Ce phénomène existe depuis longtemps, et bien avant la réforme Sapin. Il est le lot de tous les « polices » s’occupant de la délinquance en col blanc. Par dépénalisation nous entendons plusieurs mouvements et dynamiques conjugués : – le classement/disparitions de procédure ; – La mise en place de sanctions administratives organisant dans les faits (malgré une liberté de choix entre la voie pénale ou administrative totalement fictive) une répartition entre « petites » infractions relevant de sanctions administratives ou « grosses » infractions relevant du pénal. A cet égard il faut noter que la mise en place de sanctions administratives permet de faciliter une politique de valorisation interne et d’alimenter une politique du chiffre. – pour certains procureurs le fait de ne plus poursuivre du tout selon le droit pénal du travail mais uniquement selon le code pénal et/ou en exigeant un niveau d’ITT à trois mois, ce qui permet d’augmenter encore le taux de classement ; – enfin la tendance de fond (accélérée par les lois travail I et II) et situant la première source du droit au niveau de l’accord d’entreprise, c’est-à-dire à un endroit où il n’y a pas ou peu de pénalités.
- Une augmentation du prescrit hiérarchique. Les plans d’actions et le prescrit hiérarchique ont toujours existés. Là encore il ne s’agit pas d’une nouveauté mais d’une tendance de fond à l’accroissement quantitatif qui témoigne d’un changement qualitatif. Cette tendance est bien entendu à mettre en relation avec l’augmentation des échelons hiérarchiques, chaque échelon ajoutant peu ou prou sa couche de prescrit et de pressions afin de justifier son existence vis-à-vis de l’échelon supérieur. Dans le même temps nous assistons à la diffusion de l’idéologie managériale au sein des services publics développant une vision de l’activité déconnectée de la relation de service et orientée vers la valorisation. Chaque échelon doit valoriser et singer une mascarade de « productivité » pour justifier son existence à chaque niveau et ce jusqu’à la ministre. A cet égard le pôle T s’emploie activement à la mise en place d’indicateurs de benchmarking par actions, entre UC, entre UD et entre UR et mois par mois. Sur fond de suppressions de postes, si les chiffres attendus ne sont pas au RDV, loin d’une remise en question du système, la hiérarchie en déduira qu’il faut ajouter une couche de prescrit et de pression hiérarchique sur les agents de contrôle (et éventuellement d’échelons hiérarchiques). Si les chiffres sont en RDV, la hiérarchie augmentera les objectifs. Nous sommes donc face à une fuite en avant.
- une augmentation de la répression antisyndicale. Les différentes dimensions rappelées ci-dessus changent le rapport de la hiérarchie aux agents en général, et aux agents récalcitrants ou résistants en particulier. Ceux-ci sont de plus en plus vus comme de simples adversaires empêchant la machine de tourner, plutôt qu’un retour du travail réel face à une organisation virtuelle. En bout de chaîne, la pression hiérarchique se traduit ainsi par une augmentation de la répression antisyndicale.
Les différentes tendances et dynamiques rappelées ci-dessus doivent être envisagées ensemble. Elles dessinent une évolution des services vers une administration autocentrée, uniquement préoccupée de valorisation, censée prouver son « efficacité », où chacun, en interne, essaye de sauver sa peau. Le point aveugle de cette évolution est la relation de service, cad au final la relation à l’usager en tant que demande sociale. Eternellement conçue, explicitement ou implicitement, comme la variable d’ajustement par rapport au prescrit hiérarchique, elle tend même à être ramenée, dans le discours de la DGT, à un alibi d’agents récalcitrants et ne voulant pas travailler. Elle est pourtant le fondement du sens de notre travail. Si notre administration est en train d’inventer le service public sans public, nous devons défendre un service public au service du public.
Motion :
La CNT-TEFP défend un service public aux service des salariés.
Cette revendication implique la prise en compte dans nos luttes la défense, le maintien et l’extension de l’accueil concret des usagers (service de renseignements permettant un accueil physique et sans RDV dans toutes les UD, nombre d’assistants suffisants afin de répondre et orienter les demandes).
La CNT-TEFP promeut d’utiliser les moyens à notre disposition pour associer, chaque fois que possible, les usagers et leurs organisations syndicales à travers les parties civiles sur les procédures pénales, l’information sur les recours au TASS, et les procédures de sanctions administratives.
La CNT-TEFP estime que les pratiques « pré-prud’homales », communication de constats par des courriers d’informations, ou pressions sur les patrons pour obtenir des régularisations, font pleinement parties de notre métier.
Sans se prononcer par principe contre tout plan d’action ou action collective, elle considère que ce sont les agents de contrôle eux-mêmes qui sont les mieux à mêmes de prioriser leurs actions en fonction des moyens qui leur sont alloués, et de définir la pertinence d’une action collective en fonction des réalités du terrain.
La CNT-TEFP réaffirme que le service public n’a de sens et de légitimité qu’en tant qu’elle rend un service effectif à ses usagers, elle s’élève contre l’orientation de l’activité à des fins de valorisation hiérarchique interne.