Le projet de loi de réforme de la fonction publique, présenté en conseil des ministres le 27 mars dernier, ne nous apporte, malheureusement, aucune surprise, par rapport au projet « Action publique 2022 » que nous avions précédemment analysé. Il se confirme que le gouvernement porte un projet global de destruction du statut de la fonction publique :
Réduction des missions des instances de « dialogue social », élargissement des cas de recours aux contractuels, nouveaux pouvoirs de sanctions donnés à la hiérarchie locale, rupture conventionnelle, dispositif d’accompagnement des agents lors de restructurations… tout y est.
Au total, une trentaine d’articles sont prévus et répartis en 4 titres : « Promouvoir un dialogue social plus stratégique, efficace et réactif, dans le respect des garanties des agents publics » ; « Transformer et simplifier le cadre de gestion des ressources humaines pour une action publique plus efficace » ; « Favoriser la mobilité et accompagner les transitions professionnelles des agents publics » et « Renforcer l’égalité professionnelle ». À noter que les dispositions relatives au développement de la rémunération au mérite sont minimes dans le projet de texte actuel, puisqu’elles passent majoritairement par la voie réglementaire. Voici le détail des mesures contenues dans l’avant-projet de loi.
Les dispositions relatives au dialogue social
Comme précédemment dans le privé avec les lois travail, la fusion des instances est actée. Pour la fonction publique cela signifiera une fusion des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). La nouvelle instance issue de ce regroupement s’intitulera « comité social d’administration » dans la fonction publique d’État et « comité social territorial » dans la fonction publique territoriale. Reproduisant également ce qui a été prévu dans le privé avec les commissions santé-sécurité, une « formation spécialisée » en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail pourra être créée au sein de ces comités. La mise en place de cette instance sera notamment obligatoire à l’État si les effectifs sont supérieurs à un seuil qui reste à être précisé par décret. Une telle formation spécialisée pourra aussi être mise en place dans les administrations où des risques professionnels le justifient. Autant dire que nous restons dans le flou sur la possibilité même d’une mise en place de ce CHSCT croupion.
Si les instances n’ont, en tant que telles, jamais empêchées la mise en place des contre-réformes, la disparition d’une instance propre en charge de l’analyse des conditions de travail comme le CHSCT est, comme précédemment dans le privé, un véritable recul qui vise à diluer les questions de santé de travail et à retirer les moyens précédemment accordés.
Cette nouvelle architecture entrera en vigueur lors du prochain renouvellement des instances, soit en 2022.
S’agissant des mutations et mobilités, exit l’avis des CAP. Alors que la loi prévoyait jusqu’à ce jour, dans la fonction publique d’État, que l’autorité compétente « procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires » (CAP), le projet de loi supprime cet avis et stipule que seule l’autorité compétente procède aux mutations des fonctionnaires. Nous n’avons jamais été des promoteurs du paritarisme sur ce sujet comme sur le reste, néanmoins il n’est nul besoin d’être grand clerc pour deviner que la suppression des CAP sur ces domaines va renforcer encore l’arbitraire et le pouvoir discrétionnaire de nos hiérarques quant aux mutations.
Idem pour l’avancement, les pleins pouvoirs seront donnés à l’administration, sans consultation d’une quelconque instance.
Les pleins pouvoirs donnés à la hiérarchie en matière de mobilité et d’avancement auront immanquablement pour conséquence, si ce n’est pour objet, de soumettre d’avantage les agents à la hiérarchie locale et engendreront des phénomènes de cour délétères pour le collectif de travail.
Des ordonnances à venir sur le dialogue social dans la fonction publique. Le projet de loi prévoit une habilitation pour le gouvernement à prendre par ordonnances (dans un délai de quinze mois après la promulgation de la loi) toutes dispositions visant à « renforcer la place de la négociation dans la fonction publique ». Et ce, notamment, en précisant les autorités compétentes pour négocier avec les organisations syndicales, en adaptant les critères de reconnaissance de validité des accords, en déterminant la portée juridique des accords et leurs conditions de conclusion et de résiliation ou encore en faisant évoluer l’articulation entre les niveaux de négociation (national et local). Comme pour les lois travail, une décentralisation des négociations permettant d’attaquer le statut général de la fonction publique pointe le bout de son nez.
Les dispositions relatives au recours aux contractuels
Généralisation du recours aux contractuels (articles 7 et 8). Alors que le statut prévoit aujourd’hui que des agents contractuels peuvent être recrutés à l’État « lorsqu’il n’existe pas de corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes » et « pour les emplois du niveau de la catégorie A et, dans les représentations de l’État à l’étranger, des autres catégories, lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient », le projet de loi prévoit d’élargir ces dérogations.
Le projet de texte stipule en effet que, dans la fonction publique d’État, le recrutement des contractuels sera désormais possible lorsque la nature des fonctions ou les besoins des services le justifient, notamment lorsqu’il s’agit de fonctions nécessitant des compétences techniques spécialisées ou nouvelles, lorsque l’autorité de recrutement n’est pas en mesure de pourvoir l’emploi par un fonctionnaire présentant l’expertise ou l’expérience professionnelle adaptée aux missions à accomplir et en enfin lorsque les fonctions ne nécessitent pas une formation initiale donnant lieu à la titularisation de l’agent. Ces contrats pourront être conclus pour une durée indéterminée. Autant dire qu’avec un tel élargissement des possibilités de recours aux contractuels ; il ne s’agit plus de dérogations mais bien, à court ou moyen terme, d’un pur et simple remplacement des fonctionnaires précédemment recrutés par concours et sous statut.
Sur fond de pénurie d’effectifs, les hiérarques locaux deviendront ainsi de véritables petits patrons ayant la possibilité de recruter sur n’importe quelle fonction. En novlangue managériale on appelle ça :« doter les managers des leviers de ressources humaines nécessaires à leur action ». A terme c’est bien la disparition totale du personnel sous statut qui est visée avec la garantie d’indépendance qui y est aujourd’hui attachée. Car en projetant un recours encore plus massif aux contractuels, synonyme de précarité accrue, l’agent sera d’avantage soumis aux pressions internes comme externes.
Le texte prévoit aussi que l’autorité compétente pourra définir des durées minimales et maximales d’occupation de certains emplois (article 9).
Dans cette lignée, un contrat de mission pour une durée maximale de six années est actée par le projet de loi. Celui-ci prévoit que ce contrat est institué pour mener à bien un projet ou une opération spécifique dont l’échéance est la réalisation desdits projets ou opération. Le projet de loi duplique ici le contrat de projet (dit aussi de « chantier » dans le secteur privé), à durée déterminée, qui permet de faire sauter la borne de trois ans de contrat renouvelable une fois, jusqu’ici à l’œuvre dans le secteur public.
Et pour finir, revoilà l’ouverture des postes de direction aux contractuels. Introduite par le gouvernement dans le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », mais censurée par le Conseil constitutionnel, l’ouverture aux contractuels des postes de direction du secteur public fait son retour dans le projet de loi de réforme de la fonction publique. La mascarade de la commission de déontologie, est dans ce contexte censée éviter les conflits d’intérêts générés par les allers-retours qui auront lieu entre public et privé.
Les dispositions relatives aux carrières
Généralisation de l’évaluation individuelle (article 10). Pour renforcer la « reconnaissance de l’engagement et de la performance professionnels » de l’agent public, il est prévu d’acter dans les textes la notation par l’appréciation de la valeur professionnelle. L’appréciation de la valeur professionnelle se fondera sur une évaluation individuelle qui prendra la forme d’un entretien individuel annuel. Ce dispositif que nous connaissons déjà, et que nous avons toujours dénoncé, sera donc généralisé.
Et comme on pouvait s’y attendre cette évaluation du « mérite » individuel sera prise en compte pour l’avancement et les promotions.
Les résultats des contractuels pris en compte dans les rémunérations. Il est prévu dans le projet de loi d’insérer dans le statut un article qui indique que la rémunération des agents contractuels est fixée par l’autorité compétente en tenant compte des fonctions exercées, de la qualification requise pour l’exercice et de leur expérience. Elle pourra aussi tenir compte de leurs résultats professionnels et des résultats collectifs du service.
De nouvelles sanctions à l’État et dans l’hospitalière. Il est prévu, dans la fonction publique d’État et dans l’hospitalière, la création d’une nouvelle sanction (en l’occurrence une exclusion temporaire des fonctions de trois jours), qui ne serait pas soumise à l’examen des CAP. Pour l’État et l’hospitalière, il est aussi prévu que l’exclusion temporaire de fonctions soit inscrite dans le dossier du fonctionnaire.
Ainsi entre le recrutement sous contrat, l’individualisation accrue de la rémunération et l’accroissement des possibilités de sanctions par la hiérarchie locale, tout est fait pour organiser la soumission totale de l’agent à sa hiérarchie locale.
Les dispositions relatives aux mobilités… vers la sortie
De nouveaux dispositifs apparaissent pour atteindre coûte que coûte les objectifs des 120 000 suppressions de postes prévus à l’horizon 2022.
Bientôt des ruptures conventionnelles. Dans les trois versants, le projet de loi prévoit de créer un dispositif de rupture conventionnelle pour les CDI. Mais dans la fonction publique d’État et dans l’hospitalière, le projet de loi prévoit également de créer « à titre expérimental » (entre 2020 et 2025) un dispositif de rupture conventionnelle pour les fonctionnaires.
Et Darmanin de reparler de « plans de départ volontaires » en cas de restructurations de services. En prévision de ces restructurations à venir, le gouvernement invente le PSE version fonction publique. Évoqué de longue date, ce dispositif d’accompagnement des agents en cas de restructuration est précisé dans le projet de loi. Sont ainsi prévus la mise en place d’une priorité locale de mutation ou de détachement, d’un « congé de transition professionnelle » ou encore d’une mise à disposition auprès d’organisations ou d’entreprises privées avec versement d’une indemnité de départ volontaire.
Détachement d’office des fonctionnaires touchés par une externalisation (articles 25 et 26). Les plans de départ dits « volontaires » ne suffisant pas, le projet de loi va encore plus loin. Lorsque des missions de service public, assurées dans un cadre public par des fonctionnaires, seront abandonnées, externalisées ou privatisées, les fonctionnaires exerçant cette activité seront détachés d’office, pendant la durée du contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail conclu à durée indéterminée auprès de l’organisme d’accueil.
Derrière ce projet global de destruction du statut général des fonctionnaires, c’est bien les usagers qui vont en dernier recours trinquer, avec la suppression massive et continue d’emplois, l’abandon ou la privatisation pure et simple de certaines missions.
Pour les agents qui resteront ce sera une dégradation continue des conditions de travail et nouvelles des conditions d’emploi qui favoriseront la perméabilité à toutes les formes de pressions indues, extérieures comme internes, et les pratiques clientélistes qui vont avec.