Emmanuel Macron vient de sortir son projet de loi d’habilitation pour faire passer sa réforme du Code du travail par voie d’ordonnances. Les grandes orientations étaient déjà connues mais à la lecture de ce projet on s’aperçoit que c’est encore pire que ce qu’on pensait. Aux thèmes déjà évoqués, Emmanuel Macron ajoute maintenant une attaque frontale contre le CDI par la promotion d’un « contrat de chantier ».
Pour ceux qui en douteraient encore, le patronat est aujourd’hui directement à la tête de l’Etat et Muriel Pénicaud, ministre du travail, n’hésite pas à déclarer que le Code du travail « n’est fait que pour embêter 95% des entreprises ».
Sans surprise ce projet vise alors tout simplement à donner au patronat le pouvoir de faire le droit en s’affranchissant une bonne fois pour toutes du « principe de faveur », qui a été au cœur de la construction historique du droit du travail en France.
Quelles sont les grandes lignes du projet de cette nouvelle « loi travail puissance 10 » ?
Une inversion totale de la hiérarchie des normes
L’article premier du projet d’habilitation résume toute l’orientation du texte : déréguler l’ensemble du droit du travail en donnant la priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche et la loi.
Cette inversion de la hiérarchie des normes, entamée depuis longtemps, a notamment connu un coup d’accélérateur avec la loi travail sur les thèmes du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires. Mais La durée de base du travail restait encore fixée par la loi. De plus certains sujets demeuraient uniquement négociables au niveau de la branche (comme les grilles de minima salariaux) sans possibilités de dérogation dans un sens défavorable au niveau de l’entreprise. L’idée est aujourd’hui d’achever l’inversion de la hiérarchie des normes en la généralisant à tous les domaines. Tout doit disparaître !
Seuls trois domaines resteront définis au niveau de la loi : le SMIC, l’égalité professionnelle femmes-hommes et les seuils d’exposition aux risques professionnels. Tout le reste peut-être remis en cause : salaires, contrat de travail et même certaines règles relatives à la santé et à la sécurité.
Si l’on prend pour exemple le contrat de travail, les termes mêmes de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (motifs de licenciement, procédure et indemnités) pourraient être modulables et renvoyés à la négociation d’entreprise. De même les dispositions régissant les CDD et l’intérim (motifs, durée et règles de succession sur un même poste) pourront désormais être « adaptées » par accord.
Cette mise en concurrence généralisée des salariés de chaque entreprise entraînera une course sans
limite au moins-disant social.
Pour couronner le tout le gouvernement prévoit même d’instaurer la primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail dans un sens défavorable aux salariés. Ce dispositif avait été expérimenté avec les accords dits de « maintient dans l’emploi ». Il s’agissait d’ouvrir la possibilité d’augmenter la durée du travail et/ou de baisser le salaire en cas de difficultés économiques et en garantissant le maintien des emplois pendant une période donnée. Aujourd’hui ce dispositif serait généralisé quel que soit le contexte. Ainsi un salarié qui aura négocié son contrat de travail à certaines conditions de rémunération et de durée du travail pourra voir son contrat de travail remis en cause à tout moment par accord d’entreprise.
Vers la fin du monopole syndical sur la négociation collective
Et pour être sûr que cette dérégulation puisse être effective, Macron prévoit de contourner le monopole syndical sur la négociation collective en étendant la possibilité d’organiser des référendums d’entreprise. Là où la loi travail donnait la possibilité à un syndicat minoritaire d’initier un référendum, Macron veut pousser la logique au bout en donnant cette possibilité aux employeurs.
On imagine déjà le chantage à l’emploi qui jouera à plein au niveau de l’entreprise pour faire passer toutes les régressions à coups de référendums successifs. Le référendum d’entreprise est un leurre de démocratie. Les salariés seront placés devant un choix individuel, alors que la défense des intérêts des travailleurs ne peut véritablement se faire que collectivement. Dans ce sens, passer outre les représentants du collectif des travailleurs pour demander l’avis individuel de chaque travailleur, c’est faire croire à la fiction d’une relation égale entre un travailleur et un patron.
Ce projet est ni plus ni moins, que l’aboutissement du déjà ancien projet patronal de « refondation sociale » initié en 2000 par Ernest-Antoine Seillière, ex-président du Medef, de dérégulation généralisée du droit du travail. Il est important que chaque organisation syndicale joue son rôle de défense des intérêts des travailleurs et que Macron ne trouve pas d’alliés syndicaux pour mettre en scène son « dialogue social » et surtout réaliser son projet.
La fusion des institutions représentatives du personnel
La loi Rebsamen avait étendu les possibilités de fusion des différentes institutions représentatives du personnel dans des délégations unique du personnel (DUP) jusqu’à 300 salariés en y intégrant notamment les CHSCT. Sur ce point Macron veut là aussi aller plus loin en autorisant toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, à mettre en place une DUP. Ainsi l’instance de proximité qu’est le CHSCT pourrait disparaître.
L’article 2 du projet de loi prévoit au passage que cette instance fusionné pourra « exercer les compétences en matière de négociation des conventions et accords d’entreprise ou d’établissement » ; histoire, une fois de plus, de contourner les délégués syndicaux au profit d’éventuels représentants du personnel « maison ».
Vers la fin du compte pénibilité
Autre revendication permanente du Medef depuis 2010 : l’abrogation du compte pénibilité.
C’était la seule micro-avancée du quinquennat Hollande pour faire passer sa réforme des retraites auprès de la CFDT. C’était encore trop pour le patronat. Pierre Gattaz a qualifié la mesure « d’usine à gaz » et insisté pour que le gouvernement « la fasse sauter ». Macron va « simplifier » le dispositif.
D’une part le nouveau dispositif, rebaptisé « compte de prévention », ne sera plus financé directement par les entreprises par une nouvelle cotisation sociale ; d’autre part les risques ne seront plus évalués au cours de la vie professionnelle mais « médicalisés ». En gros il faudra désormais être déjà malade pour pouvoir bénéficier d’un départ en retraite anticipé. Pour les critères comme la manutention des charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, il faudra même atteindre un taux d’incapacité permanente de 10% pour être éligible à une retraite anticipée !
Un permis de licencier à moindre coût
De même la question du plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif, initialement prévue par le projet de loi travail, et finalement retoquée, fait sa réapparition à l’article 3 du projet. Le tribunal n’aura plus à apprécier le préjudice réel, l’indemnité maximale sera fixée une bonne fois pour toutes. C’est, là aussi, l’aboutissement des désirs du patronat. Pierre Gattaz, président du Medef, plaide ainsi depuis longtemps pour le plafonnement des indemnités prud’homales en mettant en avant « la peur » des chefs d’entreprise.
Concrètement il s’agit pour le patronat de pouvoir anticiper, « renforcer la prévisibilité » en novlangue patronale, afin de provisionner ce que coutera un licenciement abusif pour licencier tranquillement.
Et comme ça ne suffisait pas, le projet de loi prévoit de réduire les délais de contestation d’un licenciement (aujourd’hui un an pour les licenciement économiques et deux ans pour motif personnel).
Une réduction du périmètre d’appréciation du motif économique
Ici encore, le texte veut réintroduire une mesure initialement envisagée par la loi El khomri, et finalement retirée. Il s’agit de restreindre au territoire français le périmètre retenu pour apprécier les difficultés d’un groupe international qui licencie dans une de ses filiales en France.
En restreignant le périmètre géographique d’appréciation des difficultés économiques, une multinationale florissante pourra ainsi organiser, de façon artificielle, la faillite d’un de ses sociétés françaises.
Vers la fin du CDI
Parmi les « nouveautés » le projet de loi renferme un « contrat de chantier », permettant d’associer la fin dudit contrat à celle d’un projet donné. En somme, un CDI avec des caractéristiques de CDD…
Cette idée d’un contrat de chantier revient à intervalles réguliers depuis au moins le début des années 2000. Le projet de loi prévoit d’ouvrir cette possibilité « par accord de branche ou, à défaut, à titre expérimental ».
Plus d’un siècle après la création du code du travail nous ne sommes pas loin du retour au contrat du louage qui prévalait au 19 e siècle, avec une embauche à la tâche, et une précarité pour tous.
Ce scénario n’est pas une fatalité, il ne tient qu’à nous de le faire échouer. Le gouvernement veut aller vite ? A nous de nous mobiliser sans attendre !
Dès maintenant, l’urgence est de préparer la riposte sociale dans l’unité. La CNT soutient toutes les initiatives permettant d’enclencher la résistance !
Le tract en pdf : machine de guerre antisociale 2