Dans son délibéré publié le 18/09/2014, le Conseil National de l’Inspection du Travail (CNIT) vient de donner son avis sur l’ « affaire TEFAL ». Rappelons que le CNIT était saisi de cette affaire pour répondre en gros aux questions suivantes :
y-a-t-il eu tentative d’atteinte à l’indépendance d’une inspectrice du travail de Haute-Savoie par le biais d’une « influence extérieure indue » de l’entreprise TEFAL et du MEDEF local afin de contrer son action de contrôle de l’entreprise TEFAL ? Cette pression extérieure a-t-elle été répercutée en interne par la direction de l’UT ?
Disons le tout de suite, cet avis, mi-chèvre mi –chou (ou mi-figue mi-raisin, au choix), réussit le tour de force de pointer la responsabilité de l’administration… tout en faisant son maximum pour la dédouaner de l’accusation d’avoir relayé une « influence extérieure indue ».
Regardons tout cela plus en détail.
Le silence pesant de l’administration…
Dans une première partie, à la question « y-a-t-il eu des pressions extérieures indues ? », le CNIT répond clairement : OUI.
« Dans l’affaire en cause, tant l’entreprise que l’organisation patronale qu’elle a sollicitée ont cherché à porter atteinte à ces exigences en tentant d’obtenir de l’administration (préfet) et du responsable hiérarchique le changement d’affectation de l’inspectrice et par là-même la cessation de l’action de contrôle à l’égard de l’entreprise ».
Vient alors la question de l’attitude de notre administration face à ces pressions.
A cet égard le CNIT considère « qu’il est regrettable que, dès lors qu’elles ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l’autorité centrale de l’inspection du travail ne soit venue les condamner et rappeler les principes de droit interne et international qui garantissent l’indépendance de l’inspection du travail, qu’il s’agisse tant des règles relatives à la mobilité géographique des inspecteurs du travail que de leur protection contre les influences extérieures indues.».
Ce faisant le CNIT pointe clairement l’attitude de la totalité de la ligne hiérarchique : directeur départemental, directeur régional, DGT et Ministre.
Dans un contexte avéré de tentative d’atteinte à l’indépendance d’une inspectrice, le silence persistant de l’administration, alors même que l’indépendance de l’inspection était gravement mise en cause, a fini par devenir assourdissant. A tel point que même le CNIT s’en étonne et ajoute : « Le système de l’inspection du travail ne peut fonctionner que si la hiérarchie soutient et protège les inspecteurs au regard de potentielles influences extérieures indues. »
Or la seule préoccupation et intervention de la hiérarchie dans cette affaire peut se résumer de la façon suivante : chaque échelon hiérarchique soutient celui du dessous, et l’ensemble de la chaîne, pour sauver le directeur de l’UT et enfoncer notre collègue inspectrice.
Car si notre administration est restée silencieuse pour défendre l’indépendance de l’inspection, elle n’a pas ménagé ses efforts en interne pour essayer d’étouffer l’affaire y compris dans ses quelques réponses aux journalistes qui l’interrogeaient.
S’il est des silences qui finissent par devenir assourdissants, face à l’évidence des pressions, qui ne dit mot consent.
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.
La deuxième partie de l’avis du CNIT commence par relever que le principe d’indépendance des inspecteurs dans leur action de contrôle n’a pas pour effet de priver l’autorité hiérarchique « notamment au regard de leurs fondements juridiques ». En particulier « si un inspecteur du travail peut porter une appréciation sur la licéité d’un accord d’entreprise, il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire d’en prononcer la nullité ».
Certes mais de quoi parle-t-on ?
Probablement de l’avis lapidaire contre notre collègue produit au CNIT par la DGT (signé du DGT récemment nommé au poste Yves Struillou, par ailleurs membre du CNIT au moment de la saisine). Dans son courrier la DGT a ainsi cru bon de descendre l’inspectrice en expliquant qu’elle se serait substituée au juge en donnant son avis sur la licéité d’un accord sur les 35 heures chez TEFAL. Car il faut peut-être le rappeler, à l’origine des foudres de TEFAL il y a l’examen d’un accord d’aménagement du temps de travail de cette entreprise sur demande des organisations syndicales de la boîte. L’inspectrice en cause a alors relevé un certain nombre d’irrégularités dans l’accord et a effectivement informé l’entreprise de ces irrégularités en donnant son avis sur sa légalité de l’accord comme tout agent de contrôle peut être amené à le faire lorsque nous sommes saisis par des salariés ou des organisations syndicales sur le sujet.
Ce qu’il faut retenir de ce passage n’est donc pas que seule l’autorité judiciaire peut prononcer la nullité d’un accord, ce qui est évident, mais que l’inspectrice était légitime à donner son avis sur l’accord après avoir été sollicitée par les organisations syndicales, contrairement a ce que pense notre DGT, et qu’elle n’a pas, par cet avis, outrepassé ses prérogatives professionnelles.
En outre « c’est à tort que, lors du même entretien, le responsable de l’unité territoriale a reproché à l’inspectrice du travail un contrôle inopiné au sein de l’entreprise en cause ».
OUI rappelle le CNIT (qui cette fois répond à une question de la saisine) nous pouvons rentrer dans un établissement sans prévenir la direction pour réaliser, si cela est nécessaire, un contrôle inopiné en un lieu précis de ce même établissement.
De même « les griefs formulés par des responsables de l’entreprise mettant en cause l’impartialité de l’inspectrice du travail accusée d’avoir fait preuve d’acharnement à son encontre sont dépourvus de fondement ».
Notre collègue n’a donc pas commis de faute professionnelle. Il est bon de le rappeler, compte tenu de la diabolisation, orchestré par le RUT du 74 en premier lieu et relayé par le DIRECCTE dans un second temps.
Faites ce que je dis mais faites ce que je dis
Si le rappel sur le droit de regard hiérarchique ne vise pas l’action de l’inspectrice, il vient avant tout répondre à une demande de la DGT faite en conclusion de son mémoire qui souhaitait : « dans le cadre des débats en cours à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme de l’inspection du travail, [que soit] rappelé à tous les contours de l’exercice hiérarchique dans le système d’inspection du travail et les exigences découlant du respect qui s’impose à tous les agents publics du cadre institutionnel ».
Il vise ensuite directement le recadrage violent subi par l’inspectrice de la part de son directeur d’UT.
En langage diplomatique, l’avis du CNIT nous dit qu’en l’espèce l’exercice du pouvoir hiérarchique du RUT n’avait précisément aucun fondement juridique mais visait simplement à arrêter l’action de contrôle puisqu’il note que l’inspectrice a pu avoir « le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance et à sa libre décision, en raison des motifs pour lesquels cette action a été contestée (contestation de la « stratégie de contrôle » et non des fondements juridiques de la démarche) d’une part et des termes très vifs de l’échange, qui ne répondaient pas aux conditions normales d’un entretien professionnel. »
En d’autres termes et en résumé pour le CNIT: OUI l’autorité hiérarchique peut avoir un regard sur l’action des agents sans contrevenir à leur indépendance pour peu que ce regard réponde à des considérations juridiques et/ou relève du conseil. Mais NON l’entretien menaçant et hurlant subi par l’inspectrice n’avait justement pas pour objet un sympathique échange professionnel ou une discussion juridique mais une volonté de « contester la stratégie de contrôle » !
Ainsi selon le CNIT, au vu de la teneur de l’entretien, l’inspectrice a pu légitimement avoir le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance.
D’une façon générale le CNIT recommande alors « que l’attention des responsables hiérarchiques et des inspecteurs du travail soit appelée sur la distinction entre l’action de conseil aux inspecteurs qu’ils sont en droit de donner en matière de contrôle, et l’action de supervision qui doit être circonscrite aux fondements juridiques des actes ».
En ce qui nous concerne, et pour reprendre les termes de la DGT qui lie cette affaire à la réforme de l’inspection du travail, « dans le cadre des débats en cours à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme de l’inspection du travail » nous serions également tentés de faire la même recommandation à tous les futurs DUCs qui s’apprêteraient à faire du zèle.
On se fait un bisou et on oublie tout ?
Après tout ça on s’attendrait en toute logique que le CNIT dénonce le relais des pressions extérieures indues de TEFAL et du MEDEF par notre hiérarchie. Et bien non !
Dans un exercice de haute voltige, qui nous a fait craindre un claquage dialectique en plein vol, le CNIT décrète soudain que « l’intervention du responsable d’unité territoriale […] n’avait pas pour objet et n’a pas eu pour effet de modifier les suites données par l’inspectrice du travail ».
Donc recadrer un agent « en des termes très vifs ne répondant pas aux conditions normales d’un entretien professionnel» (en Hurlant pendant 1h30 sur un agent) en « contestant sa stratégie de contrôle » (en lui donnant une semaine pour revoir sa position à l’égard de TEFAL) n’aurait pas pour objet de « modifier les suites données par l’inspectrice du travail » (en fait d’empêcher que le contrôle n’ait lieu).
On peut donc avoir le sentiment légitime de subir une pression sans que cela en soit une, saperlipopette! On croit rêver. Mais quel était donc l’objectif de l’entretien alors ?
Ainsi, si le CNIT déclare que cet entretien ne s’est pas déroulé dans des « conditions normales », il prend soin de l’extraire de son contexte pour en désamorcer la charge explosive.
Il est effectivement bien dommage que le CNIT n’ait pas rappelé le contexte dans lequel intervient cet entretien. On peut ainsi regretter qu’il n’ait pas relevé la coïncidence troublante entre un rendez-vous le 18 avril 2013 entre la direction de TEFAL et le directeur de l’UT, et le recadrage violent subi par l’inspectrice le lendemain matin le 19 avril 2013. Quelle troublante coïncidence, nous en sommes encore tout troublés ! Des esprits mal intentionnés et retords (comme nous) pourraient en être troublés au point de penser que la direction de l’UT a ainsi relayé les pressions de TEFAL. Mais tout ça n’est probablement que purement fortuit.
Il est également bien dommage que le CNIT n’ait pas pris la peine de répondre à toutes les questions de la saisine notamment : le RUT peut-il recevoir une entreprise sans en avertir l’inspecteur du travail ? Le RUT peut-il condamner le comportement professionnel d’un inspecteur du travail sans avoir au préalable communiqué au dit inspecteur les plaintes qu’il aurait reçu, ni entendu les explications de ce dernier ? Car c’est aussi ce qui s’est passé, sauf qu’il n’y a pas eu de plainte officielle de l’entreprise, comme cela arrive souvent, juste « un contact » en off de plusieurs mois avec le RUT et le préfet…
Mais le CNIT a certainement raison, convoquer un inspecteur du travail, le lendemain de la visite de l’entreprise à l’insu de l’inspecteur, pour lui reprocher, en lui hurlant dessus, son action et sa stratégie de contrôle dans cette même entreprise ne doit pas avoir pour objet de chercher une modification de l’action de l’inspecteur… Car oui, dire explicitement, en plein renforcement de la ligne hiérarchique, que la hiérarchie est du côté des patrons ça la foutrait un peu mal.
Enfin, il est bien dommage que le CNIT ne se soit pas prononcé sur les missions du RUT et sur la proximité entre certaines entreprises et les services des renseignements généraux. Fait-il parti des missions du RUT de démarcher les entreprises contrôlées par les agents de l’inspection pour placer des jeunes en stages en leur sein ? Et est-il normal que les entreprises de Haute-Savoie obtiennent du préfet la surveillance des inspecteurs du travail par les services des renseignements généraux ?
De plus, le CNIT prend soin également de ne pas décrire « les effets » qu’a eu cet entretien sur l’inspectrice du travail, soit l’abandon du contrôle annoncé à l’entreprise sur la durée du travail des salariés, du fait des irrégularités constatés dans l’accord d’aménagement du temps de travail, la création d’un sentiment d’illégitimité à poursuivre son action de contrôle dans l’entreprise entrainant l’abandon par cette inspectrice des dossiers en cours d’instruction (ATs – entrave CHSCT – chantier Amiante), et la détérioration de sa santé se traduisant concrètement par un arrêt de travail pour accident de trois mois…
De qui se moque-t-on en disant que l’entretien n’a pas eu « pour effet de modifier les suites données par l’inspectrice du travail »?
Ainsi, selon le CNIT, tout au plus nous serions face à une « défiance réciproque » inexplicable et inexpliquée. On préserve ainsi l’intégrité de l’autorité hiérarchique en renvoyant à un conflit de personne. Et le CNIT de conclure dans un lénifiant appel « au respect mutuel » : faites vous un bisou et on oublie tout !
On le craignait, et nous voyons ici clairement les limites politiques du CNIT :
– Le CNIT peut dire qu’il y a eu des pressions extérieures indues.
– Le CNIT peut s’étonner que notre hiérarchie n’ait pas joué son rôle en ne dénonçant pas ces pressions
– Le CNIT peut relever que le directeur de l’UT a outrepassé l’exercice normal son pouvoir hiérarchique en contestant la stratégie de contrôle de notre collègue.
– Le CNIT peut rappeler que notre collègue n’a pas commis de faute professionnelle dans l’exercice de sa mission.
– Le CNIT peut reconnaître que dans ce contexte l’inspectrice a pu légitimement avoir le sentiment qu’il était porté atteinte à son indépendance
Mais après avoir dit tout ça, dans un revirement presque désespéré, le CNIT ne peut pousser l’audace jusqu’à dire que notre hiérarchie a répercuté des pressions extérieure indues.
Tant et si bien que l’on peut résumer cet avis de la façon suivante :
« Quand on voit ce qu’on voit, vous avez raison de penser ce que vous pensez
mais nous ne pouvons nous permettre de le penser tout haut avec vous ».
L’avis du CNIT : Avis du Conseil national de l’inspection du travail – Téfal
Le tract en pdf: tract avis CNIT Téfal