Après un premier rapport sur les sections d’inspection sorti en 2011, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) nous gratifie d’un nouveau rapport en 2012 concernant toujours les sections d’inspection. En prolongeant un contrôle qui devrait désormais être annuel, l’IGAS se positionne ainsi en corps de contrôle permanent visant à orienter et surtout légitimer la politique travail de la DGT.
Car autant dire tout de suite qu’il n’y a aucune surprise dans ce dernier rapport mais plutôt une confirmation du précédent et des orientations actuelles prises sous la houlette de la DGT. Il n’est pas inintéressant néanmoins d’y revenir pour voir ce qui nous attend.
A l’inspection du travail, on a pas de pétrole mais on a des pilotes !
La mission commence par se féliciter de la création de la DGT en 2006. Maintenant, grâce à cette autorité centrale, nous sommes sortis d’ « un fonctionnement atomisé et dépourvu de dispositif de confrontation/consolidation collective des pratiques et choix méthodologiques » (p.3). En gros avant c’était un peu n’importe quoi et si maintenant ça va mieux c’est que la DGT nous explique ce qu’il faut faire et comment il faut le faire. En novlangue managériale ça s’appelle le « pilotage ».
Mais à quoi sert le « pilotage » et qu’est-ce qu’un « pilote » ?
Et bien c’est simple et le rapport, dans un élan de sincérité surprenant, est assez clair sur ce point. Le pilotage est l’activité consistant à définir des objectifs prioritaires en l’absence de moyens permettant d’assurer correctement sa mission de service public à vocation généraliste. On en déduit que le bon pilote est donc cette personne qui nous explique ce qu’on doit faire sur le mode : « dites moi de quoi vous avez besoin et je vous expliquerai comment vous en passer… Et en plus je peux aussi vous présenter le BOP 111 ».
On pourrait penser que ce résumé est quelque peu exagéré et orienté ; pourtant l’IGAS ne craint pas de dire que « compte-tenu de ressources et de moyens d’appui limité […] cet objectif [l’effectivité du droit] induit de développer, à partir d’une évaluation des occurrences d’irrégularité potentielles, une capacité d’analyse des champs de compétence à couvrir et l’organisation d’un ciblage des actions à conduire » (p.20).
Renforcer les contrôles et les « cibler » est un des premiers objectifs défini par le rapport. Car si l’on en croit la mission IGAS les agents ne contrôlent pas assez et ne savent manifestement pas eux-mêmes correctement évaluer les risques à couvrir.
Dans ce cadre, quid de la mission généraliste des sections et quid du traitement la demande sociale ? C’est l’objet du 2e objectif défini comme « l’amélioration de l’articulation entre une organisation très largement généraliste et des éléments de spécialisation permettant de mieux couvrir certaines problématiques ». (p.4)
Il faut d’une part renoncer progressivement à traiter la demande sociale pour répondre aux actions programmées, ce que le rapport formule joliment dans une litote comme « un manque d’équilibre entre la réponse à la demande sociale et la conduite d’actions programmées » en regrettant « le primat accordé à la réponse à la demande sociale » (p.22 et 23). Le rapport reproche ainsi explicitement à certains agents de faire du « pré-prud’homal » ou de « réguler des situations collective portées par certains IRP ». Ainsi, s’il y a surcharge de travail avec stress et souffrance au travail à la clef, ce n’est donc pas du à nos conditions de travail mais à notre incapacité à se concentrer sur les priorités fixées par la DGT. Renoncez à votre autonomie et à traiter la demande sociale et la vie sera plus belle.
Il faudrait d’autre part renforcer la spécialisation. L’argument est toujours le même celui de la « complexité de risques spécifiques ». Ainsi, sans remettre en cause explicitement la section d’inspection généraliste, le rapport plaide pour d’avantage de spécialisation en prenant pour exemple les transports, le BTP et l’amiante.
Et c’est ainsi que les IGAS réussissent une nouvelle fois à résoudre la quadrature du cercle et l’alliance de la carpe et du lapin : comment demander plus d’interventions avec toujours moins de moyens ?
Mais grâce au pilotage bien sûr !
J’aime bien ce que vous faites, mais quitte à faire de l’art, faites le en série
Comme dans son précédent rapport, la mission IGAS reconnaît « la qualité et la complexité du travail accompli par les agents de contrôle » (p.31). Parmi les points « d’amélioration souhaitables », les IGAS estiment néanmoins que nous ne faisons pas assez de PV et que ceux-ci ne sont pas clôturés assez tôt.
La mission recommande de « ramener le délai de clôture des procès-verbaux en deçà de 3 mois » (recommandation n°6, p.31). Le rapport ne pousse pas l’analyse jusqu’à s’interroger sur la raison de cet état de fait, évitant ainsi de reposer la gênante question des moyens manifestement considérée comme hors sujet. Des rappels et plus de fliquage de la hiérarchie devrait suffire à réaliser ce tour de magie si l’on en croit les recommandations du rapport, qui fait entièrement porter la responsabilité des délais de clôture des procès-verbaux sur les agents.
Concernant « le faible recours aux instruments les plus coercitifs » (PV et arrêts de travaux), la mission note néanmoins que celui-ci tient à « des facteurs nombreux qui ne mettent pas en jeu la responsabilité des seuls agents de contrôle », en notant la conception du métier, la charge de travail et la relation avec le parquet. La conception du métier peut relever d’ « une doctrine d’usage de l’outil comme mesure réservée aux situations les plus sérieuses [ou] comme moyen ultime de mise en conformité de l’employeur » (p.37). La relation avec le parquet peut quant à elle entraîner « un phénomène d’autocensure lié à un manque de réceptivité ressenti de la part du parquet ».
Sur ce dernier point nous n’attendions certes pas que des IGAS pointent une justice de classe dans les suites réservées à nos procédures mais la « réponse » proposée, des ateliers de pratiques professionnelles et des recommandations générales, renvoient, encore une fois, in fine vers les agents.
Réorganiser ou comment faire semblant de fonctionner avec moins
La mission constate dans un premier temps une situation qu’elle qualifie de « tendue » et « inégalitaire » au niveau des secrétariats (p.40). « Ces fortes disparités de moyens se combinent avec une division des tâches entre agents de contrôle et secrétariat qui est variable entre sections » (p.5).
La mission propose tout d’abord de mieux « réguler » tout ça, en reportant une partie des tâches de secrétariat sur les agents de contrôle « au regard des progrès bureautiques et de la rareté des ressources » (p.41).
Mais la situation est tellement « tendue » que la question du maintien de l’organisation actuelle des sections se pose. Sur ce dernier point la réponse de la mission IGAS est pour le moins peu claire, voire contradictoire. Les IGAS demandent d’une part « la garantie d’un effectif socle de secrétariat ».
Oui mais lequel ? Et comment garantir quoique ce soit en continuant à supprimer des postes ?
D’autre part les IGAS évoquent des « rapprochements de secrétariats entre sections » tout en affirmant l’importance de maintenir « le lien entre chaque secrétaire et une section identifiée » (p.46). Donc pas de pool… mais éventuellement une « mutualisation mesurée ».
Ce discours flou et ambigu concernant les secrétariats correspond étrangement aux discours tenus par notre hiérarchie affirmant à peu près tout et son contraire. A cet égard un « dialogue » entre la mission IGAS et la DGT est intégré dans le rapport. Aux observations de la mission sur l’organisation des sections, la DGT répond : groupe de travail ! Les fameux groupes de travail dont le rôle était de faire passer la pilule d’une réorganisation des secrétariats en pool et qui ont tourné court devant l’opposition des agents.
En attendant, la réalité est là et les faits sont têtus : on continue de ne pas remplacer tous les départs de secrétaire et la situation est effectivement de plus en plus « tendue ».
Dans un deuxième temps les IGAS dénoncent une « tendance à la sédentarisation » et préconisent d’avantage d’interventions en entreprise. Là encore à défaut d’envisager des créations de poste, les IGAS espèrent « conforter la présence en entreprise » par un tour de magie, en l’espèce « réserver des plages d’intervention » dans l’agenda des agents « au même titre que les plages de permanence physique ou téléphonique ».
De là à considérer que les agents ne font rien ou pas grand chose lorsqu’ils sont au bureau il n’y a qu’un pas que la mission IGAS n’est pas loin de franchir.
Ainsi, au lieu de s’interroger sur les raisons qui peuvent amener un agent à ne plus avoir le temps de sortir pour faire des contrôles, la mission propose un nouvel indicateur pour fliquer les agents en créant « une fonctionnalité mesurant la régularité et la teneur des contrôles en entreprise » (p.22).
Réaffirmer la politique du chiffre… tout en la critiquant (et inversement)
Suite aux suicides de nos collègues et mouvements de contestation qui ont suivi, la mission se sent obligée de rappeler : « l’obligation faite au système d’inspection du travail de rendre compte de son activité, […] qui s’imposent à tous ses acteurs » (p.9).
Néanmoins si elle estime que cette obligation est globalement respectée, un doute s’installe… et les IGAS souhaitent que la saisie soit davantage « fiabilisée ». Qu’est-ce à dire ? Que la politique du chiffre avec gratifications et sanctions à la clef amène à mentir sur le travail ? Malheureusement le rapport ne va pas jusque là. Cependant on notera la remarque suivante regrettant une « course aux chiffres au détriment d’un exercice plus serein du métier [qui] favorise une moindre rigueur dans les enregistrements informatiques » (p. 7). A cet égard 24% des lettres d’observations enregistrées dans CAP SITERE n’en seraient pas (p. 32). La mission semble également reconnaître que la « course aux chiffres » puisse favoriser l’abatage en terme de contrôle ; ou dit autrement « polariser l’activité des sections sur les interventions les plus productives » (p.49).
Et le rapport de préconiser « une pondération différenciée des interventions selon l’ampleur des investigations qu’elles recouvrent ». p.7 Au final, il n’y a absolument aucun abandon des objectifs quantitatifs (inatteignables) mais une recommandation sur un « rééquilibrage de l’évaluation entre les dimensions quantitative et qualitative » qui correspond déjà au discours actuel tenu par notre hiérarchie et dont on voit mal la mise en œuvre concrète. La réponse de la DGT aux recommandations des IGAS est à cet égard consternante : loin de remettre en cause la politique du chiffre, la DGT répond par la mise en place prochaine d’un nouveau CAP SITERE nommé « Sitère NG »…
« Faciliter l’arbitrage » ou comment réaffirmer la ligne hiérarchique
Le rapport se termine par un certain nombre de recommandations à destination de la hiérarchie et plus particulièrement de « l’encadrement de proximité ». En gros réaffirmer la ligne hiérarchique concernant « la conduite d’actions collectives et l’appui […] dédié au champ travail » p.63.
S’agissant de l’appui technique, la mission constate notamment l’apport des équipes pluridisciplinaires, d’abord expérimentales dans le cadre du premier plan national santé au travail ensuite pérennisées et généralisées. Nos IGAS auraient pu, dans ce cadre, relever l’anomalie du recrutement de ces équipes en CDD (avant éventuellement de se voir proposer un CDI au bout de 6 ans) alors même qu’elles exercent une fonction permanente dans nos services…
Toujours au nom de l’appui technique, la mission réaffirme son soutien à la création de sections spécialisées par « la désignation d’agents experts à compétence géographique élargie » (p.65). Enfin les IGAS recommandent la création de postes de « DATI » (directeurs adjoints travail inspectants) représenteraient « une forme intéressante de conciliation des missions d’animation et d’appui » et ce notamment dans le cadre de la ligne hiérarchique. L’ « animation » concernant la préparation et l’initiative d’actions collectives se situerait donc au niveau du DA… au risque de développer l’armée mexicaine des « pilotes » et autres « animateurs ». A cet égard la mission recommande, non sans humour involontaire, de « persévérer dans la clarification du positionnement des cadres » (p.67).
Comme il est prévu dans les instructions DGT sur la ligne hiérarchique, les IGAS demandent la mise en place « participative » de plan d’action annuel au niveau de chaque UT en plus du niveau national.
Pour conclure, le rapport revient sur le suicide de nos collègues et la remise en cause de la « politique du chiffre » qui s’en est suivie. Après avoir reconnu, chez « certains », « un excès de focalisation sur le nombre des interventions » et « un sentiment générateur de mal être au travail, de n’être jamais assez bon et toujours comparé à d’autres » (p.71), la DGT et les IGAS tombent d’accord pour dédouaner « le management ».
Et qu’on se rassure, la dernière recommandation (n°32) prévoit « d’assurer aux cadres territoriaux une formation au management ».
Une nouvelle fois ce rapport donne une curieuse impression de déjà vu, déjà entendu et déjà lu tant il est dans la lignée du précédent rapport et des orientations actuelles de la DGT. Derrière quelques inflexions dans le discours, on notera les injonctions contradictoires et le flou entretenu, notamment :
- la remise en cause apparente de la politique du chiffre et la réaffirmation des objectifs chiffrés avec injonction de faire plus de contrôle en entreprise et dans le même temps plus de PV;
- l’affirmation de l’importance du rôle des secrétariats et des projets de mutualisation due à la baisse continue des effectifs.
Et surtout un grand moment communion et de bonheur entre la DGT et les IGAS sur la volonté de « piloter », d’ « harmoniser », de « cibler », d’ « arbitrer » l’activité des agents selon les priorités de la hiérarchie et en l’absence de moyens pour rendre un service public digne de ce nom aux usagers.
A nous de réaffirmer nos priorités et notre vision du service public par la lutte collective
Le tract en pdf : Rapport IGAS 2012 inspection du travail