Amiante, le crime social continue, le ministère du travail le cautionne !

amiante-crime-socialAlors que les résultats de la campagne META confirment les craintes de l’AFSSET, le DGT, appuyé au plus haut niveau par le gouvernement, tarde à mettre en application les décrets d’adaptation de la réglementation et fait finalement le choix d’abaisser la VLEP à 10f/litre seulement à l’horizon de 2015, offrant aux entreprises une période transitoire multipliant le risque pour les salariés par 10. Elle refuse également de prendre en compte, lors des mesurages du niveau d’empoussièrement, les fibres courtes d’amiante (FCA) qui représentent pourtant 68% des poussières d’amiante.

Cet arbitrage dont le seul but est de ne pas porter atteinte aux intérêts économiques des entreprises et des maitres d’ouvrage (dont beaucoup sont publics) conduit à exposer encore un peu plus les quelques 110 000 travailleurs de l’amiante et les agents de l’inspection du travail.

En effet, le ministère du travail, au lieu d’appliquer le principe de précaution pour éviter que le crime social de l’amiante ne perdure, préfère dénoncer, dans un article du monde du 16 mars 2012, par la voix de Jean Denis Combrexelle, le Directeur Général du Travail, « une agitation de circonstance ».

« La France est le seul pays à abaisser les valeurs, alors qu’on voit le Canada ou la Chine vendre de l’amiante » nous dit le DGT.

Il réutilise les vielles diatribes des lobbies de l’amiante et tombe le masque : le ministère du travail ne défend pas les intérêts des salariés ni ceux de ces agents, les morts de l’amiante à venir seront en partie ses victimes…

Depuis le consensus adopté à l’Organisation Mondiale de la Santé en 1960 sous la pression des lobbies de l’amiante, seul les fibres appelées OMS, dont la longueur est supérieure à 5 microns, la largeur inférieure à 3 microns et le rapport longueur sur largeur supérieur à 3, sont mesurées pour déterminer le niveau d’empoussièrement professionnel (soit 15% des fibres émises).

En 2003 la communauté scientifique internationale a été alertée sur la pathogénicité potentielle des fibres fines (FFA) et des fibres courtes (FCA) d’amiante. En France le ministère du travail a donc sollicité en 2005 et en 2007 l’AFSSET (L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail devenue ANSES l’agence nationale de sécurité sanitaire en 2010) pour rendre un avis sur la pertinence de la prise en compte des risques liés aux FCA et FFA, dans la réglementation.

« L’expertise de l’Afsset conclut que les fibres fines ont un effet cancérogène significatif. Pour les fibres courtes, rien ne permet d’écarter un effet cancérogène,… ces fibres courtes prédominent très largement dans les lieux où les matériaux amiantés se dégradent et ne peuvent être ignorées. » Communiqué de presse de l’AFSSET du 17 février 2009.

L’AFSSET recommande ainsi, pour protéger les professionnels, d’abaisser la VLEP (100fibres/litre) sans attendre et de comptabiliser les fibres FFA systématiquement lors des mesurages du niveau d’empoussièrement par la méthode META (microscopie électronique à transmission analytique), ce qui représente 17% de fibres comptabilisées en plus par rapport à la méthode de comptage MOCP.

En matière de santé publique, L’AFSSET préconise d’abaisser le seuil réglementaire du niveau d’empoussièrement résiduel autorisé (fixé aujourd’hui à 5 fibres (OMS+FFA) /litre), et de créer un seuil réglementaire pour les FCA dans les environnements intérieurs.

Retour sur la campagne META

Le Directeur Général du Travail décide en octobre 2009, sans modifier d’une virgule la réglementation en milieu professionnel afin de ne pas entraver la poursuite des chantiers de retrait d’amiante, de mener une campagne de mesurage de l’empoussièrement par la méthode META. Il s’agit de mesurer sur les chantiers de retrait d’amiante les différentes classes granulométriques de fibre d’amiante (OMS, FFA, FFA), en fonction des matériaux et des techniques de retrait utilisées, pour vérifier empiriquement le fondement des recommandations de l’AFSSET.

L’INRS transmet officiellement le rapport final à la Direction Générale du Travail (DGT) le 22 septembre 2011. Les résultats de la campagne META sont affligeants. Que nous dit le rapport ?

D’une part, que la méthode de mesurage MOCP (microscopie optique à contraste de phase) du niveau d’empoussièrement ne mesurait pas toutes les fibres dites OMS (15% des fibres émises). D’autre part, que les fibres fines (FFA) qui n’étaient pas comptabilisées lors des mesurages par MOCP, représentent 17% du nuage d’amiante en moyenne.

Ainsi on peut affirmer que les niveaux d’empoussièrement, mesurés par les entreprises pour justifier du respect de la Valeur Limite d’Exposition Professionnelle (VLEP de 100f/l), ont systématiquement été sous-estimés.

De plus, lors des travaux de retrait de certains matériaux, les fibres d’amiante (OMS+FFA) mesurées par la méthode META constituent un empoussièrement si élevé (plus de 25 000 f/l) que les facteurs de protection maximum des Appareils de Protection Respiratoire (APR) portés par les salariés (y compris les masques à adduction d’air) ne permettent pas de respecter la VLEP de 100f/L. C’est le cas notamment lors du retrait des plâtres et flocages amiantés.

Enfin, les fibres courtes (FCA), dont le caractère cancérogène ne peut pas être écarté aujourd’hui, représentent en moyenne 68% des fibres émises lors des opérations de retrait et atteignent des niveaux d’empoussièrement records, plus de 250 000 fibres/litre.

Le hic, même si ce n’est que secondaire, c’est que les salariés et les inspecteurs du travail ayant participé à la campagne n’ont pas été prévenus qu’on les envoyait au casse-pipe. Quinze collègues d’Ile de France ont reçu récemment une gentille grille détaillant leurs niveaux d’expositions. Sept d’entre eux ont été exposés à plus de 25 000 fibres (OMS+FFA).

La note du DAGEMO, Joël Blondel, adressée aux DIRECCTE, rappelle que ces agents ont été exposés à des seuils dangereux, et demande aux responsables hiérarchiques de déclarer leurs expositions en accident de service (« à titre préventif, dans un soucis de renforcement de la protection juridique de l’agent en cas de problème médical ultérieur »).

Pour les salariés la reconnaissance de l’exposition ne viendra sans doute jamais car le ministère a veillé à conserver l’anonymat des entreprises intervenantes dans le cadre de la campagne.

L’instruction du 23 novembre 2011 de la DGT : comment assurer l’impunité aux entreprises et décrédibiliser l’action de l’inspection du travail ?

Le DGT publie sur le site du premier ministre l’instruction du 23 novembre 2011 afin qu’elle soit opposable par les entreprises aux agents de l’inspection du travail qui voudraient intervenir pour protéger les salariés du bâtiment.

Alors, que nous dit cette fameuse instruction?

La note nous informe que la VLEP actuellement fixée à 100f/l ne va pas changer avant une période transitoire de trois ans. En 2015, elle passera de 100 à 10f/l.

Le niveau d’empoussièrement devra immédiatement, y compris pendant la période de transition, être mesuré selon la méthode META pour prendre en compte l’ensemble des fibres OMS et FFA.

Elle nous précise que la notion friable/non friable n’a plus lieu d’être et que les mesures de protections individuelles à mettre en œuvre pour protéger les salariés dépendront dès lors de quatre niveaux d’empoussièrement.

Les niveaux d’empoussièrement seront déterminés en multipliant la VLEP (aujourd’hui 100, en 2015 10f/l) par le facteur de protection maximum des appareils de protection respiratoire (APR) qui sont respectivement de 60 pour un masque TMP3 à ventilation assisté, et de 250 pour un appareil respiratoire à adduction d’air à pression positive.

Cependant, il n’est pas prévu dans les futurs décrets modificatifs de prendre en compte les fibres courtes d’amiante (FCA) ni pour évaluer les risques encourus par les travailleurs ni pour mesurer les niveaux d’empoussièrement. Ces fibres représentent pourtant 68% des poussières d’amiantes émises et atteignent des concentrations pouvant être supérieures à 250 000 f/l, soit plus de 50 000 fois le seuil fixé par le code de la santé publique.

Ainsi, seulement 32% de l’empoussièrement des zones de travail sera mesuré par les entreprises pour contrôler le respect de la VLEP.

Sur la base des principes généraux de prévention, il est demandé aux agents de contrôle de l’inspection du travail de gérer, sans base légale, cette « distorsion » due à la période transitoire de modification de la réglementation, par « une élévation des niveaux de prévention à mettre en œuvre sur les chantiers selon les modalités techniques définies dans le guide INRS (ED 6091) ».

Sauf que le guide en question a défini des niveaux d’empoussièrement bien inférieurs à ceux de la DGT, qui plus est sur la base de mesurage en MOCP, comptant deux fois moins de fibres que la méthode META.

On peut retranscrire un tableau comparatif des appareils de protection respiratoire à utiliser en fonction des niveaux d’empoussièrement de la DGT, du guide de l’INRS et de ceux qui seront applicables d’ici trois ans avec la VLEP à 10f/l.

La note d’instruction de la DGT vise donc une généralisation de l’utilisation du masque TMP3 (jusqu’à 6000f/l) alors qu’elle devient dangereuse au-delà de 600f/l. De plus, elle autorise les entreprises sur la base du facteur de protection des APR à être au maximum de la VLEP, alors que le code du travail prévoit pour l’employeur l’obligation d’abaisser au maximum, « autant qu’il est techniquement possible » le niveau d’empoussièrement. Sous prétexte d’appliquer les principes généraux de prévention, la DGT les viole, ce sont les salariés qui en paieront les conséquences.

Bien à l’aise de rajouter dans l’instruction « en cas de constat d’une situation d’exposition des travailleurs, les agents de contrôles mettront en œuvre les moyens coercitifs appropriés ».

En effet, le DGT veut démontrer que la situation est contrôlée notamment par l’inspection du travail. Seulement les agents de l’inspection qui ne sont pas assez nombreux, pas assez formés, et qui ne disposent pas eux même des protections adaptées pour répondre à l’ampleur de cette problématique sanitaire se sont vus exhortés à la prudence. Autant dire que les chantiers de désamiantage sont devenus des zones de non droit à la merci du patronat.

L’enjeu économique d’une VLEP à 100f/litre prioritaire devant l’enjeu sanitaire

Le 15 septembre 2009 devant l’absence de réaction du ministère du travail, l’AFSSET publie un nouveau communiqué de presse qui recommande : « Dans un premier temps et sans plus attendre, l’Afsset propose de l’abaisser à 10f/L, en moyenne sur 8 heures, cela représente une diminution du risque d’un facteur 10», estimant « qu’elle (la VLEP à 100f/l) fait courir un excès de risque pour un travailleur de 3,3.10-3 (3,3 cas de cancers supplémentaires pour 1000 travailleurs exposés) qui ne peut être considéré comme acceptable. »

L’AFSSET précise cependant que « pour ce puissant cancérogène sans seuil de toxicité, seule la valeur la plus basse possible est acceptable (principe « ALARA »). L’Afsset recommande donc au ministère chargé du travail de réévaluer cette valeur régulièrement, afin de l’abaisser. »

En publiant ces chiffres l’AFSSET lance dès le 15 septembre 2009 un signal d’alarme au ministère du travail, afin qu’il prenne la mesure du désastre sanitaire passé et à venir et modifie sans délai la réglementation. Mais la volonté politique n’y est pas, la DGT a fait le choix de maintenir la VLEP en milieu professionnel à 100f/l depuis 2009.

Derrière cette décision politique il y a des enjeux économiques à sauvegarder avec détermination.

En effet, abaisser la VLEP c’est surtout générer des coûts supplémentaires pour les entreprises qui doivent, dès lors, développer des techniques de retrait nouvelles, notamment plus mécanisées, ou prévoir des phases de retrait plus longues pour protéger les travailleurs. De plus, diminuer la VLEP conduirait les entreprises à gonfler la facture présentée aux maîtres d’ouvrage dont beaucoup sont publics. C’est d’ailleurs le DGT qui le dit dans le monde du 16 mars, « de nombreux maires de gauche comme de droite ne tiennent surtout pas à ce que les chantiers de désamiantage s’arrêtent ». Les collectivités locales et territoriales seraient les premières impactées par une telle réforme avec les promoteurs immobiliers et bien sûr les autres maîtres d’ouvrage privés.

N’oublions pas que monsieur Jean Denis Combrexelle, qui suit le dossier de l’amiante depuis plus de dix ans, nous a déjà fait démonstration de son zèle à soutenir les entreprises de désamiantage et le patronat contre les agents de l’inspection qui sont les seuls à monter au créneau sur l’amiante. Rappelons-nous notamment du scandale des masques Proflows, et des instructions, désavouées notamment par le TGI de Rouen, visant à décrédibiliser l’inspection du travail qui préconisait la prise en compte du caractère friable d’un matériau à la base non friable suivant la technique de retrait afin d’assurer une protection optimale des travailleurs.

Cela étant avec le rapport de la campagne META le risque juridique existe bel et bien pour le DGT et le ministre du travail qui doivent cependant réagir. Alors comment éviter de se retrouver dans vingt ans mis en examen tout en essayant de protéger les intérêts économiques des puissants (politiques et patronat)? En effectuant une pirouette rhétorique et en faisant appel à l’expertise des techniciens. En effet, la DGT nous affirme que la période transitoire est nécessaire car on ne sait pas aujourd’hui assurer techniquement la protection des travailleurs, encore moins avec une VLEP à 10f/l. Elle précise que cette période permettra aux entreprises « d’ajuster leur évaluation des risques, d’innover en matière de protection collective et individuelle etde rechercher les meilleurs moyens de prévention disponibles ».

La DGT gagne du temps au détriment de la santé des travailleurs mais son argumentation ne tient pas, car les techniques existent pour réduire le niveau d’empoussièrement. Elles sont simplement plus coûteuses.

Si le ministère n’avait pas ouvert le marché de l’amiante à l’ensemble des entreprises de démolition, alors que le travail de retrait de l’amiante est hautement qualifié, les entreprises qui sont aujourd’hui certifiées selon des critères au rabais n’auraient pas à ajuster leur évaluation des risques. Devant ce constat d’échec, plutôt que d’interdire le retrait de l’amiante, comme l’a demandé le groupe socialiste le 2 mars dernier en déposant un moratoire à l’assemblée nationale, le gouvernement préfère faire croire aux salariés qu’ils sont protégés lorsqu’ils travaillent dans un niveau d’empoussièrement inférieur à 100f/l, alors que le code du travail les expose 20 fois plus que le code de la santé publique sans aucune justification.

Ne soyons pas cyniques, cela ne représente « que  330 cas de cancer en plus » parmi les 107 000 salariés chargés du retrait de l’amiante et « seulement 6000 cas de cancer en plus » liés à l’amiante chez les professionnels du BTP, dont la plupart ne sera pas reconnue par la CPAM. Ces victimes s’ajouteront aux 100 000 morts liés à l’amiante à venir d’ici à 2025.

Ces victimes seront pourtant celles du ministère du travail.

Les insuffisances de la réglementation en matière de prévention et de protection du danger que représente l’inhalation des fibres d’amiante sont légions, notamment en matière de repérage des matériaux contenant de l’amiante, ou de responsabilités pénales des donneurs d’ordre. Cette politique mortifère doit être stoppée et la responsabilité pénale du DGT et des politiques pourrait être engagée.

Cela est parfaitement possible puisque le Comité Permanent Amiante (CPA), composé notamment de l’ancien secrétaire général de l’INRS, vient d’être récemment mis en examen pour « homicides, blessures involontaires et abstention délictueuse ». Le CPA avait dirigé la politique de l’amiante de 1982 à 1995 à la faveur des industriels et produit de fausses informations pour retarder l’interdiction de l’amiante en France.

Nous refusons de laisser les salariés du BTP être exposés aux risques de contracter un cancer lié à l’amiante.

La CNT demande au ministère du travail, pour que les travailleurs de l’amiante soient enfin considérer comme des hommes et non comme des consommables et que les agents de l’inspection du travail soient enfin protégés contre l’amiante, de prendre ses responsabilités et d’interdire le retrait de l’amiante jusqu’à :

1) La reconnaissance de l’exposition de tous les salariés du désamiantage depuis 1997. Ces salariés, que le ministère du travail a fait travailler avec des protections inadaptées dans une atmosphère ou l’employeur mesurait moins de 15% des fibres d’amiantes dans l’air pour justifier du respect d’une VLEP de 100f/L, soit 20 fois supérieur au seuil du code de la santé publique, ont été abondamment exposés à l’amiante.

2) L’abaissement immédiat, conformément aux recommandations de l’AFSSET, de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) réglementaire au seuil le plus bas possible et, au minimum, au niveau de la valeur du code de la santé publique.

3) La prise en compte des FCA dans les mesures du niveau d’empoussièrement, dont le caractère cancérogène est fortement suspecté et qui représente 70% des fibres émises lors des opérations de retrait.

4) Un renforcement significatif de la réglementation en matière de repérage avant travaux des matériaux contenants de l’amiante ainsi que l’élaboration de critères drastiques de certification des opérateurs de repérage et des entreprises de désamiantage. En attendant, nous appelons les agents de l’inspection à ne plus pénétrer sur les chantiers de retrait d’amiante afin de protéger leur santé.

Nos vies valent plus que leurs profits !!!

 

Le tract en pdf : Amiante : crime social du ministère du travail