Dans un délibéré rendu le 23 octobre Le Conseil National de l’Inspection du Travail (CNIT) vient de donner son avis sur le projet de réforme SAPIN dit « ministère fort ». Rappelons que le CNIT rend son avis dans le cadre de l’article D.8121-3 du code du travail « concernant le respect des missions et garanties de l’inspection du travail ».
Or le fond de la délibération concernant le respect des missions et garanties de l’inspection du CNIT mérite justement qu’on s’y attarde un peu. A l’heure où Michel Sapin se répand dans Rue89 pour expliquer que notre mouvement est un mouvement « corporatiste » enchaînant « slogans creux » et « contrevérités flagrantes » ; il est plaisant que le CNIT pointe aussi à sa façon ce que nous dénonçons depuis des mois.
Car même si cet avis est rédigé en langage très diplomatique et n’engage à rien (ça n’est qu’un avis…) on y retrouve des interrogations sur les garanties de l’indépendance d’action des agents de contrôle, sur la programmation de l’activité des agents par l’administration et un dernier point concernant le projet d’introduire des procédures de transaction et d’ordonnance pénale en droit du travail.
Rentrons dans le détail des trois « points de vigilance » relevés par le CNIT.
Inspecteur du travail vs DUC et/ou section spécialisée : quid de l’indépendance ?
La première question que pose le CNIT est en gros la suivante : que se passera-t-il si l’agent de contrôle et le DUC et/ou la section spécialisée régionale sont en désaccord sur l’intervention à mener ?
Le CNIT relève ainsi qu’ « il y a lieu de prévoir le cas où l’inspecteur aurait […] des objections sérieuses et légitimes à une intervention soit du responsable de l’unité de contrôle, soit de l’unité de contrôle régionale ».
Selon le CNIT « une procédure d’arbitrage devra être déterminée, en s’assurant que la décision finalement arrêtée ne procède pas d’une « influence extérieure indue » au sens de l’article 6 de la convention n°81 de l’OIT ».
La même question se pose en cas de désaccord concernant les suites à intervention puisqu’aux termes de l’article 17.2 « il est laissé à la libre décision des inspecteurs du travail de donner des avertissements ou des conseils au lieu d’intenter ou de recommander des poursuites ».
Le CNIT a ainsi le mérite de poser la question de l’indépendance là où elle se posera concrètement dans le futur système, c’est-à-dire dans les rapports à l’autorité du futur DUC et dans les capacités d’ingérence des futures sections spécialisées.
Face à notre mobilisation pour défendre notamment notre indépendance, la pirouette rhétorique répétée à l’envie par la DGT et la totalité de l’encadrement consiste à dire qu’il faut distinguer autonomie et indépendance. Sous-entendu le DUC peut très bien remettre en cause votre autonomie d’action, ça ne pose pas de problème du point de vue de l’indépendance du système d’inspection puisque nous, l’encadrement, sommes garants de votre indépendance.
Or il ne peut y avoir d’indépendance effective de l’inspecteur que sur la base d’une autonomie d’action réelle. Nous connaissons parfaitement la perméabilité, pour ne pas dire la complaisance, de notre administration aux pressions patronales. Remettre notre indépendance entre les mains de l’encadrement revient à s’en remettre aux injonctions de notre encadrement en fonction des petits arrangements locaux et/ou nationaux de notre administration avec le patronat.
En ce qui nous concerne, et contrairement à ce que préconise le CNIT, nous pensons que la meilleure garantie de notre indépendance ne consiste pas à mettre en place des procédures d’arbitrage chaque fois qu’il y a risque d’interférence ou d’ingérence, mais à éviter de mettre en place les structures qui permettent ces ingérences.
En d’autres termes pour éviter le risque, supprimons-en la source !
Pour cette raison nous continuons de revendiquer la suppression des DUC et des sections spécialisées. Si le travail collectif, le soutien et les échanges professionnels sont nécessaires, ceux-ci doivent être déconnectés d’une relation hiérarchique.
Actions prioritaires vs autonomie d’action
Le 2e « point de vigilance » relevé par le CNIT concerne « l’articulation entre les actions collectives résultant de la détermination de priorités nationales ou régionales et les actions de contrôle dont l’organisation […] relèvent de l’autonomie de décision de l’inspecteur du travail ».
Et le CNIT de rappeler les termes d’un précédent avis déclarant en substance que l’accumulation des actions prioritaires ne doit pas faire obstacle à l’exercice de notre mission principale : l’application du droit du travail « pour lesquels l’agent conserve son autonomie de décision et de choix ». De façon une nouvelle fois très diplomatique, le CNIT propose seulement de formaliser le processus d’association des agents de contrôle à la détermination des priorités.
Pourtant les remarques sur une possible concurrence entre actions prioritaires et autonomie d’action renvoient à une situation beaucoup plus fondamentale : la question des effectifs et le sens de notre travail en tant que service public.
Si les actions prioritaires peuvent faire obstacle à notre mission fondamentale c’est d’abord parce que nous sommes en situation de sous-effectif structurel. Ce problème renvoie ensuite au sens de notre mission. Si les actions prioritaires peuvent faire obstacle à notre mission c’est parce que notre mission n’a de sens que dans notre capacité à répondre aux demandes des salariés. Si nous devons faire appliquer le droit du travail c’est parce qu’il y a des salariés subordonnés dans leur travail et non l’inverse. C’est à nous à répondre à la demande et non aux salariés à se caler sur les priorités du ministère.
Ça paraît évident mais ça va encore mieux en le disant et c’est là notre mission et notre seule priorité.
La transaction pénale vs l’opportunité des suites
Dans son 3e point de vigilance le CNIT évoque les alternatives aux poursuites pénales évoquées par Sapin (ordonnance et transaction pénale) pour les confronter au principe de libre décision. A cet égard le CNIT ne propose rien de précis mais fait un rappel de principe sur la nécessité de préserver le principe de libre décision consacré par la convention n°81 tout en dissociant « l’autorité chargée de relever et constater les infractions et celle qui prononce les sanctions pénales ».
Nous avions déjà eu l’occasion de relever la mauvaise foi du projet ministériel sur ce sujet dans un précédent tract. Alors que Michel Sapin promettait un renforcement de l’action pénale de l’inspection, le projet nous parle finalement de composition et de transaction plutôt que l’affirmation d’une véritable politique pénale du travail et l’annonce du renforcement des moyens de fonctionnement de notre système judiciaire qui est placé comme nous dans l’incapacité de réaliser son travail. Mauvaise foi institutionnelle caractéristique dès qu’on touche au droit du travail et à la délinquance patronale. L’État réaffirme les exigences de sanction systématique et d’exemplarité des
peines tout en faisant en sorte que ses agents soient d’une part placés dans l’incapacité matérielle de poursuivre de tels objectifs et d’autre part en mettant en place des procédures permettant de négocier les peines.
Si à terme, la délinquance patronale ne sera plus condamnée mais systématiquement « ordonnée », « transactionnée », nous sommes moins que certains d’être dans un réel « renforcement des pouvoirs de l’inspection ».
La CNT revendique toujours :
- l’intégration, par ancienneté et sans condition, de tous les contrôleurs dans un corps unique de l’inspection du travail, sans lien hiérarchique entre agents de contrôle
- le passage des agents de catégorie C en SA avec possibilité de passerelle vers le corps de l’inspection
- une inspection du travail généraliste et territoriale de proximité et nous opposons aux sections spécialisées et aux groupes d’intervention régionaux et nationaux
- au minimum le doublement des effectifs d’agent de contrôle et d’agent de catégorie C
Le tract en pdf : tract-cnit-28-octobre-2013